Court (1h 27), concis, peut-être même un peu trop une fois qu’arrive la fin, presqu’inattendue et pourtant comme évidente, ce film de Mikio Naruse surprend par le ton très féministe qu’il adopte à travers sa protagoniste, jouée par la radieuse et talentueuse Hideko Takamine. En fin de compte, le film s’achève sur une porte ouverte, sur un courant d’air comme j’aime à le dire des films de ce réalisateur, desquels il se dégage bien souvent une vitalité authentique.
Les premières minutes sont un peu laborieuses du fait des liens de parenté alambiqués qui unissent les divers personnages entre eux. Passé cela, le film déroule naturellement une riche palette d’émotions à travers des scènes du quotidien qui mêlent très habilement le malheur avec, sinon le bonheur, tout du moins le plaisir et les courtes joies. Chez Naruse, le pessimisme n’est jamais bien loin ; il point au détour d’un secret inopinément révélé, ou au travers des problèmes d’argent qui fragilisent le tissu social du Japon d’après-guerre.
Cette idée de départ de quatre frères et sœurs aux géniteurs différents pour chacun peut surprendre, tout comme l’absence de ces derniers, fugitivement évoqués au détour d’une phrase, mais dont on ne parle jamais à mots découverts, comme si une sorte de loi tacite l’en empêchait. Elle révèle cependant rapidement ses bénéfices, puisqu’elle présente une famille qui n’est pas si soudée que ça, faute de liens du sang suffisamment puissants. Faut-il y voir une critique adressée par le cinéaste aux mœurs qui se débrident alors sur l’archipel, dans le sillage de l’occidentalisation toujours plus prégnante ? L’un des arcs narratifs qui implique l’une des sœurs de l’héroïne pourrait aller dans ce sens, tout comme les rapports de force inversés entre Nui et son mari ivrogne, notamment illustrés dans une scène de dispute qui paraît révolutionnaire pour l'époque (1952).
L’homme, dans ce film, est passé à la moulinette par Naruse, à une exception près. Flemmard, pervers, incapable en affaires et pourtant imbu de lui-même : peut-être est-il, lui, le véritable reflet d’une société moralement en crise, celui dont les comportements instables et déviants lézardent les conventions sociales et font subir aux femmes les pires crasses qu’on puisse s’imaginer.
Heureusement, et à l’inverse d’autres films du cinéaste, moins efficaces sur ce plan-là (cf. Le grondement de la montagne), L'éclair parvient ici à sublimer les individualités féminines à travers Kyoko (le personnage de Takamine), porte-flambeau d’une nouvelle génération éclairée (elle adore les livres, apprécie la musique classique), ferme et indépendante. Une formidable idéalisation que le jeu de cette actrice absolument remarquable (a-t-elle un équivalent dans le cinéma de cette époque ?) contribue à élever d’autant plus loin.