Film oppressant et anxiogène, l'économie du couple aborde le thème de la séparation avec une efficace économie de moyens qui permet de mettre en avant le déchaînement passionnel d'un amour perçu et vécu comme une tragédie.
Soulignons tout d'abord l'économie de moyens avec laquelle Joaquim Lafosse parvient à réaliser son film. Le choix des personnages correspondant à des types va dans ce sens. Leur psychologie bien marquée et leur origine sociale clairement délimitée révèlent le parti pris du réalisateur qui opte pour la simplicité et la cohérence au détriment d'une complexité ou d'une ambivalence nuisant à la vraisemblance des caractères et pouvant ouvrir de nouvelles portes - qui ici, nous le verrons, n'existent pas. Ensuite, à la manière du couple Bacri/Jaoui à ses débuts, fortement inspiré par le théâtre dont il est lui aussi issu, Lafosse définit la maison où auront toujours habité les personnages comme espace unique où se noue le conflit. Ainsi, il respecte la règle de l'unité de lieu de l'art dramatique de Boileau qu'il applique au cinéma. De même, il suit la règle de l'unité d'action. En effet, le conflit (mot qui ici revêt son sens contemporain) se cristallise autour de la division du capital commun de chaque membre du couple en voie de séparation, évitant les intrigues secondaires pouvant égarer le spectateur.
Ces éléments théoriques relevant du genre théâtral s'inscrivent dans un film qui s'approprient les codes de la tragédie. Dans un premier temps, de la même manière que l'implacable destin réservé aux personnages tragiques les empêchent de trouver une issue aux dilemmes auxquels ils sont confrontés, dans l'économie du couple Boris et Marie ne parviennent jamais à s'extraire du conflit qui les dépasse. Presque tous les dialogues qu'ils échangent sont faits d'accusations, de cris et d'agressions verbales. Ils deviennent par une mise en abîme ingénieuse eux-mêmes personnages de la pièce qu'ils se sont créés, enfermés dans le rôle qu'ils se sont donnés. L'idée ou plutôt l'impression de «fermé» est d'ailleurs reprise par l'espace, c'est-à-dire la maison, dont on ne voit jamais l'extérieur, tant elle est ceinte par des hauts murs et un imposant portail. Les rapports plutôt explosifs entre les personnages ont donc lieu dans un huit-clos asphyxiant où même les moments passés dans le jardin sont pollués par le conflit qui les emprisonnent mentalement. A tel point que, malgré l'apport de la mère de Marie, figure neutre de la sagesse qui négocie une résolution du conflit, l'amour moderne est vécu et perçu comme une fatalité, comme un mal incurable de l'époque, à l'image de l'obsolescence programmée et de la surconsommation qui nous poussent à toujours acquérir un objet nouveau et à ne jamais réparer celui que l'on a déjà – et ce malgré les difficultés économiques supposées du ménage. Ce dernier point d'ailleurs constitue la source du mal dans le couple, les reproches de Marie à l'égard de Boris se focalisant principalement sur ses problèmes d'argent. Il est ainsi surprenant qu'il ne soit presque jamais question de sentiment dans le film, et que la passion au sens technique du terme, ne soit causée que par des raisons matérielles. Agissant froidement, Marie rationalise ses émotions, si bien que la question de l'amour donné et reçu par chacun est supplantée par la comptabilisation de l'apport économique respectif dans la maison et le ménage.
La position extérieure permettant de reconnaître les erreurs de jugement qui conduisent le couple à s'enfermer dans un conflit dont le seul dénouement possible est le divorce (symboliquement unique scène filmée à l'extérieur de la maison) autorise la catharsis propre au genre. En effet, lorsque il n'y a plus aucune dispute, le spectateur s'apitoie paradoxalement sur le sort des personnages et s'effraie des conséquences de leurs actes. Voilà d'ailleurs le seul moment où son cœur cesse de trembler et qu'il peut enfin respirer, tant il a été pris dans les tourments d'une passion ravageuse.