Si L'Emmerdeur est un film de Molinaro, on y sent clairement la patte de Francis Veber, scénariste du film. Il s'agit en effet du premier film faisant apparaître François Pignon, l'homme simplet et maladroit, une première occurrence assurée par Jacques Brel, dont les chansons reflètent parfois un certain pignonisme (je vois presque dans son interprétation dépressive le narrateur de L'Ivrogne).
Ce personnage se retrouve confronté à un Lino Ventura impassible, qui ne perd jamais de vue son objectif. François Pignon, quant à lui, poussera à bout - malgré lui - cet homme d'un sérieux inaltérable. Il s'agit bien du même Pignon que le futur Pierre Richard dans Les Compères ou Les Fugitifs, un fardeau pour Depardieu, ou bien l'intraitable Jacques Villeret du Dîner de Cons.
Toute la comédie repose sur la tension grandissante et sur l'absurdité de la situation. Il y un fossé énorme entre la gravité du meurtre politique que Lino Ventura s'apprête à commettre et le personnage de Brel, désespérément malheureux, qui cherche du réconfort auprès de la dernière personne vers qui il faut le chercher. On apprécie beaucoup de personnage de Ventura, formidablement interprété, car il n'est pas aussi inhumain qu'il veut bien le laisser transparaître, mais va au contraire essayer d'aider le personnage de Brel sans savoir qu'il mordait à un hameçon qui le mènerait à une situation irréversible.
L'humour est toujours typique de Veber. Les rôles s'inversent : tout comme la malchance, contagieuse, poursuivra Depardieu dans La Chèvre, Ventura se retrouve à sauter par la fenêtre à la place de celui qu'il essaya alors de sauver. Mais Ventura doit aussi être dépassé par les évènements : il se retrouve à faire du stop en urgence et tombe, comme si cela ne suffisait pas, sur un conducteur de rallye... Du pur comique de situation, toujours de bon ton, qui m'a laissé échapper quelques rires francs. L'humour s'appuie énormément sur le personnage martyr, celui de Lino Ventura, qui encaisse en silence les nombreuses aberrations qui lui tombent dessus.
L'Emmerdeur est encore très drôle aujourd'hui, mais il est aussi intéressant de le regarder avec un point de vue global, comparativement à sa postérité. Ce n'est pas un très grand film, ni l'une des comédies les plus marquantes, mais il pose les bases de tout un pan de la comédie française.