Dumont plus Dumont que jamais pousse toujours plus loin son mélange des genres. L’Empire est une véritable farce où se rencontrent à la fois Star Wars, Sous le soleil de Satan et La Vie de Jésus. De la science-fiction, une dimension mystique, un affrontement entre le Bien et le Mal, le tout dans les paysages magnifiques des campagnes du nord de la France, avec beaucoup d’acteurs à gueule et non professionnels qui jouent de façon très spontanée.
Ce dernier aspect, qui est une constante chez Dumont, est l’élément que j’ai de loin préféré dans le film. Les personnages ont une présence à l’écran que l’on ne retrouve que très rarement au cinéma. La caméra prend le temps filmer les visages même quand ils ne font rien, les acteurs ne savent pas toujours quoi dire et quoi faire et se contentent alors de regarder dans le vague, ils n’ont aucune mimique de comédien pour remplir le blanc. Le fait qu’en plus, ils aient pratiquement tous un défaut d’élocution ou un visage ou une voix étrange les rend absolument uniques dans l’œil de la caméra de Dumont. La première partie du film, avant l'arrivée des aliens, où on est juste avec ces personnages, fonctionne très bien si on est client de ce cinéma.
Ce dépouillement, cette absence d’artifice est là depuis le premier film du réalisateur, mais là où cet aspect touchait à l’ensemble de sa mise en scène jusqu’à Camille Claudel, il ne concerne désormais plus que les acteurs et dans une certaine mesure les décors. L’histoire n’a plus rien de la simplicité de celle de La Vie de Jésus ou Flandres. Les visages et paysages du nord sont placés dans une intrigue parodique de film de science-fiction, où les anges, dans leur vaisseau en forme de cathédrale, affrontent les démons, eux-mêmes dans des vaisseaux en forme de château de Versailles. Tout ça ne mène pas à grand-chose et se révèle très vain. Le film ne montre et ne dit rien du Bien et du Mal, à part que l’être humain possède les deux en lui et que le problème n'est pas aussi binaire qu'on pourrait le croire. Pendant près des deux tiers du film, les scènes répétitives s’enchaînent, rien ne se passe vraiment, ce qui pourrait ne pas être un problème si l’intrigue de SF n'occupait pas tant de place et ne bridait pas ce qui fait l’intensité de certains films de Dumont.
Alors bien sûr, il y a le comique qui aurait dû permettre à tout ça de fonctionner, mais ça n’a pas marché. Il faut dire que Dumont prend son film très au sérieux (et en parle sur France Culture avec beaucoup de sérieux). Il veut faire du grotesque, il veut faire du comique, mais comme, en bon bressonien qu’il est, il veut nous faire toucher une forme de grâce, de beauté quasiment mystique, il refuse de nous faire franchement rire. Son univers est totalement décalé mais est traité avec un tel premier degré que finalement, rien n’est drôle. On accepte simplement cette réalité absurde. C’est comme si Dumont aimait le comique mais n’aimait pas la comédie. Il veut rendre la comédie sérieuse, mais ne prend pas la comédie en tant que telle, en tant qu'elle est comique, au sérieux. Comme si la comédie n’était un genre noble qu’à condition qu’elle ne fasse pas rire. Finalement, Dumont cherche juste à nous déstabiliser pour ensuite nous faire atteindre une sorte de lumière divine, de révélation. Mais ce qu’il se contente de faire pour réussir ça, c’est de mettre de la musique mystique sur des plans longs. Et ce n’est ni très profond ni très subtile.
Finalement, dans cette grande soupe Dumont-SF-farce, il n’y a que la partie Dumont (celui des années 2000) qui me plaît vraiment.