L'Empire
5.6
L'Empire

Film de Bruno Dumont (2024)

Bruno Dumont, j'en ai quasiment tout vu. On m'a dit d'éviter "Twentynine Palms", qu'on m'a décrit comme une "vraie bouse" ou une "grosse tâche". Ce n'est pas grave pour un réalisateur d'avoir une merde au milieu du lot, mais de fait je me suis concentré sur le reste.


Bruno, c'est le réalisateur de droite que je préfère ( vivant et actif du moins ). L'obsession du Bien et du Mal, l'exégèse de ce mal qu'on porte en chacun de nous, la ruralité ( de la Côte d'Opale ), les questions de foi et de la tradition contre la modernité... On sent l'influence de Bernanos, on sent la continuité de Pialat, et ça en fait quelqu'un qui a des choses à dire. Et qui les dit bien en plus !


Mais là... non. Les thèmes sont là. Le sujet est là. Mais j'ai l'impression que le film, lui, n'est pas là.


Comme d'habitude, il y a ce qu'on nous a vendu - un Star Wars dans le ch'nord, ce qui ne saurait être plus faux tant tout ce qui est prétexte à grand spectacle est ici banalisé - et ce qui est, à savoir encore cette recherche entre Bien et Mal.

Fabrice Lucchini, chef du Mal auto-proclamé, combat les forces de Camille Cottin, cheffe du Bien auto-proclamé. Le Mal a pour champion un pêcheur de crabes ( et de homards ) qui ne respire pas l'éducation, le Bien une jeune fille avec de... beaux arguments, à la dégaine déjà plus urbaine.

On a là déjà une dualité marquée par trois choses :

  • les chefs sont des acteurs confirmés, les seconds des non-acteurs ( enfin à l'exception de Anamaria Vartolomei qui a un petit bagage d'actrice quand même )
  • Le Mal c'est les hommes, le Bien c'est les femmes
  • Et aussi, le Mal c'est la province ( un guide touristique initiant à la cueillette à marée basse/pétrologie pour Empereur, un pêcheur pas franchement fortuné comme Chef des Armées ), et le Bien c'est l'urbanité ( Bon Chic Bon Genre fringuée en robe à fleur cintré, petit sac à main de grognasse et chignon bien noué, genre secrétaire de direction à La Défense [ pas pour rien qu'elle a joué "Connasse" d'ailleurs ] et une seconde en chef qui n'en branle pas une de ses journées qu'elle passe surtout à la plage )

On connaît chez Bruno Dumont un certain sens du rejet de la modernité, un retour aux racines loin des villes décadentes déjà abondamment abordé dans France et Ma Loute notamment. Là encore on n'y échappe pas. Le Mal désigné ne fait en fait jamais rien de bien méchant. Il ne tue pas, il crie quand on l'ennuie, il parle d'envahir mais n'envahit pas vraiment... bref, très déclaratif. Le Bien désigné lui n'hésite pas à décapiter une mère - sous prétexte que son enfant c'est le Margua, sorte d'antéchrist rattaché au Mal - un mec qui passe parce que c'est un "1", et donc que les méchants "faut leur péter la gueule"... bref le Bien il est le Bien parce qu'il dit que c'est le Bien, mais il ne fait rien de Bien non plus.


Bruno Dumont, je le sens en avoir gros sur la patate de ce que les droitards appellent avec ironie "le camp du bien". Et à la rigueur pourquoi pas.


Mais derrière ça, je n'ai senti aucun film. Les décors choisis pour le Bien, une cathédrale verticale opposée à une sorte de Versailles ( avec des bouts du Palais de Theed, les amateurs de Star Wars apprécieront ) bien à plat pour le Mal, les batailles qui n'arrivent jamais, pour finir sur un trou noir qui aspirent Bien et Mal un moment avant une bataille spatiale épique... ça se tourne autour, ça s'enlève les gosses et ça baise dans les champs, mais ça ne part jamais sur rien et ça n'aboutit jamais sur rien. Toutes les scènes passent le début et ne proposent jamais aucune fin. On a juste droit à Lucchini qui fait de la pantomime décousue dans un Versailles spatial.

Et en fait de Star Wars du ch'nord, on a bien une trajectoire empruntée à Star Wars : le fan service, avec le concours du Commissaire et de Carpentier qui ne sont utilisés à rien. Ma femme m'a dit "oui enfin, le fan service chez Bruno Dumont... c'est très niche quand même comme fan service". Soit mais je m'en fiche en fait : comment expliquer leur présence cumulant 3 minutes en tout et sans aucun intérêt autre que les montrer ? Quand faire dérouler le film sous leur regard d'humains concons aurait pu porter le même message mais avec plus de décalage et de finesse.


J'ai le thème. J'ai aucun vrai sujet. J'ai pas vraiment de traitement. l'intelligence du propos ? Je ne sais pas, je cherche encore. Le trou noir, c'est pour quoi, dire que le Bien et le Mal l'un sans l'autre ça n'aboutit à rien ? Vouloir enlever l'un et/ou l'autre c'est ambitionner le néant ? Mouais. J'ai connu plus subtil que ça. Peut-être le plus "intéressant" dans cette relation Bien-contre-Mal est le fait que les deux commandants en second, se détestant fondamentalement - sans rien connaître l'un de l'autre - se laissent aller à un désir primal et font le sexe en plein air. Filmé de loin puis en gros plan ( merci Bruno ) pour montrer le plaisir à la fin de l'acte, puis les envies frustrées quand le Devoir prend le pas sur le Plaisir, c'est peut-être la meilleure illustration de l'attraction-répulsion du Bien et du Mal dans un contexte manichéen.


Je tire mon chapeau à l'équipe des effets spéciaux ceci dit. Pour un si petit budget c'était propre.


J'attends ton prochain film, Bruno.

Grammar-Stalin
6
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le 23 juin 2024

Critique lue 36 fois

Grammar Stalin

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