L’empire contre-attaque est le plus grand. Un avis subjectif, j’en conviens. Je ne prétends pas que ce soit le meilleur film de tous les temps ; c’est Blade Runner ; mais celui qui m’a le plus touché. J’avais 14 ans. Non seulement j’avais l’âge idéal pour l’apprécier, mais mon cerveau était vierge de toute forme de space-opéra. Comment vous faire comprendre ? Pour renouveler aujourd’hui l’expérience, alors que Star Wars imprègne notre imaginaire collectif, peut-être vaudrait-il sélectionner un jeune amish ou un enfant papou – le premier serait tiré de sa ferme moyenâgeuse, le second de sa forêt primaire – et observer le résultat. La sidération serait garantie.
Je me souviens avoir vu le premier opus, trois ans plus tôt, sans émoi particulier. J’étais trop jeune. Nous étions en 1977. Je l’avais découvert au cinéma, sans possibilité de le revoir. Le premier épisode ne sortira en VHS qu’en 1982.
Revenons à notre sujet. Je suis en Angleterre, en août 1980, en stage de langue. Je n’ai objectivement rien compris. Mon anglais était scolaire. Mais, l’ami Harrison Ford aurait tout aussi bien s’exprimer en serbo-croate ou en araméen, que j’aurais saisi. Pourquoi ? À quoi était dû ce subit et fugace don des langues ? Au fait que j’étais Han Solo. Je vivais l’aventure. Ma compréhension était-elle intuitive ou instinctive ? Je l’ignore. Son aventure était la mienne. Je suis Han Solo. C’est un fait. Ne le répétez pas. Je ne prétends pas être la réincarnation de mon héros, comme d’innombrables aliénés persuadés d’être Néfertiti ou Napoléon. Mon cas est différent. Je suis le héros. Je suis seulement né trop tôt. C’est ballot.
Que puis-je vous raconter de plus ? La princesse Leia est belle, mais cruche. Son frère est transparent. Les seuls à tenir leur rang, ce sont mes potes Chewbacca et Dark. Vous avouerais-je que mon premier béguin, malheureux, pour N. était dû à sa mystérieuse ressemblance avec la jeune Carrie Fisher ?
Jamais, je n’ai retrouvé cette sensation. Une seule fois, peut-être, avec une intensité moindre. Pour Le retour du roi, j’ai pleuré. J’ai pleuré avec Aragorn. Je suis aussi Aragorn. Ne l’ébruitez pas. J’ai pleuré la fin, tardive, de mon enfance et mon entrée dans le monde, oh combien décevant, des adultes. Mais, ceci est une autre histoire.
Je déteste C-3PO et R2-D2. Ces droides constituent des seconds rôles pénibles. Georges Lucas venait d’inventer la notion de « produits dérivés ». Le premier transmet des informations, le second les traduit : un google-home aurait tout aussi bien l’affaire, mais lui aurait rapporté moins en poupées. J’ai collectionné une dizaine de figurines, les BD et les cassettes vidéo. Trente ans plus tard, le progrès aidant, mes enfants me ruineront en Lego Star Wars, en jeux vidéo et autres DVD... Je ne regrette rien.
La plus belle scène ? J’hésite. Tout est beau. Si je devais n’en choisir qu’une : l’attaque de la base secrète sur Hoth, la planète glacée, avec cette fascinante montée de la pression. L’envoi des sondes-espion, la destruction de la sonde, les transports de troupes, la charge des stormtroopers et les merveilleux tétrapodes. Le TB-TT est une arme absurde en soi, imaginez que cette colossale machine, lente et maladroite, ne possède qu’un malheureux laser ! Elle est aberrante, certes, mais tellement belle. J’en ai rêvé des années. D’ailleurs, je peux vous avouer que j’alimente une cagnotte secrète. Je pourrai bientôt m’offrir un tétrapode, en Lego et en taille réelle. Vous m’imaginez aux commandes avec La Marche Impériale à fond ! Pas un mot. Ma femme me croit fou.