Du haut d’une colline, des prisonniers d’un camp de concentration ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, de simples corps uniformes se succédant à la suite de pénibles efforts. Alors que deux d’entre eux transportent un amas de pierres, l’un trébuche sous les yeux d’un surveillant qui impose dès lors à son compagnon de le tuer. Une mise à mort gratuite qui finit par la survie du fautif ; or, celui-ci, dans la continuité du jeu pervers du surveillant, est poussé du haut d’un ravin. Premier film fictionnel français sur les camps, L’Enclos s’ouvre sur cette progression vers l’horreur et cristallise la vanité de l’espoir qui englobe l’ensemble de son récit.
La clarté du jour révèle et prépare sous un noir et blanc lumineux la réalité ludique et morbide du camp de concentration. Le reste du film se situe dans ce lieu-ci, un huis clos à ciel ouvert, sans perspective, où le cloisonnement ne laisse entrapercevoir aucune échappatoire. Lorsque survient l’ordre d’enfermer pendant une journée un prisonnier politique allemand et un juif parisien jusqu’à mort s’en suive, c’est une nouvelle fois le jeu du meurtre pour l’espérance. Si la présence des officiers renforcent la claustrophobie suffocante du camp, les actions des prisonniers font naître des bribes d’humanité. Une résistance silencieuse qui se lit sur des visages tout aussi rayonnants que noircis par la sueur et la saleté. Ce chiaroscuro révèle les individus tout en les dissimulant, un jeu d’ombre et de lumière qui renforce la complexité de prisonniers sans histoire. Seules les individualités des deux forcés à s’entretuer se révèlent par des échanges, des révélations, mais dont le caractère funeste cloisonne la temporalité au passé.
S’il est envisagé, l’avenir ne l’est que par un prisonnier affamé, soi-disant medium, prédisant un futur prospère à son camarade Juif avant que celui-ci ne soit emmené dans l’enclos. Une croyance vaine à laquelle adhère ce dernier, avant de révéler prophétiquement à son compagnon allemand au cours d’une discussion que « prévoir c’est empêcher ». Hors-champ à cet enclos, l’espoir poussant les uns et les autres à agir n’est pas davantage ouvert vers ce qui adviendra. L’immédiat conditionne les actions et, sans conscience des conséquences, le courage s’accompagne de l’irresponsabilité. Le cloisonnement temporel du récit est ainsi redoublé par celui des esprits.
Ancien prisonnier des camps de concentration, Armand Gatti propose un film historique où le réalisme est emporté par une puissance dramaturgique. Si l’utilisation de la voix-off s’avère moins convaincante que celle de Nuit et Brouillard dont elle semble s’inspirer, l’empreinte du témoignage repose sur une expressivité formelle remarquable.