La Guerre et cet enfant plongé en son centre.

[La critique peut contenir de légers spoilers (évocation de certaines scènes), néanmoins les plus importants sont cachés]


Le visage d’Ivan se dévoile lentement, caché par une toile d’araignée, la nature prend vie pendant que la caméra suit les pensés de l’enfant alors en proie à un élan lyrique puissant, notre vision s’envole, comme guidée par l’âme du personnage. L’enfant devient oiseau.
Il n’est pas anodin que le film de Tarkovski s’ouvre sur le visage d’Ivan à demi voilé par une toile d’araignée. On se rend compte quelques minutes plus tard que cette vision n’est qu’un rêve, un souvenir. Ce moment idyllique est rapidement interrompu par un sursaut, le rêve tourne au cauchemar quand Ivan se remémore le meurtre de ses parents par les nazis, le personnage ne parvient à trouver refuge nulle part, ses pensées ont été corrompues par son expérience de la guerre. La toile d’araignée apparue dans le premier plan du film symbolise bien le piège dans lequel son âme se trouve prise. Andrei Tarkovski met en place un thème qui lui est cher celui de l’enfance brisée qui se confronte à un milieu froid et déshumanisé, ici la guerre.


Sartre disait que ce n’est pas un film qui montre un enfant dans la guerre mais la guerre dans un enfant et quand on y réfléchit c’est là que se trouve toute la profondeur du film, les séquences les plus effrayantes sont celles où l’enfant cauchemarde ou hallucine, la guerre est terrible mais le vrai chaos est ce qui se passe à l’intérieur des êtres qui y ont été confrontés. Une douleur indescriptible et un traumatisme incurable voilà ce que Tarkovski souhaite montrer dans ce film, il peint le portrait d’un enfant soldat qui s’oppose en tout à la vision de propagande qu’on pouvait en donner. Dans un premier temps il ne provoque pas pitié et attendrissement, c’est un personnage très froid mais peu à peu on finit par le comprendre et à s’attacher à lui malgré la rudesse de son comportement, les séquences de rêves nous font découvrir son vrai caractère, un caractère enfoui, celui d’un enfant vif, joyeux et poète.


Une des plus belles scènes du film est celle où le commandant et la femme médecin discutent dans les bois, après plusieurs minutes où la tension est palpable entre les deux êtres, le soldat lui vole un baiser, la femme se trouvant alors suspendue dans les airs, cette séquence illustre le moment où l’innocence rencontre la guerre. On peut observer que la femme semble perdue après ce passage entre une forme d’amour abstrait et un effroi devant cette expérience nouvelle, c’est cette ambivalence des sentiments qui est toujours savoureuse dans l’œuvre de Tarkovski.
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Je vous joins ce magnifique plan, un des plus beaux du film.


Le personnage d’Ivan ne ressortira pas vivant du film, Sartre disait que cette décision est parfaitement cohérente car le personnage a été tant marqué par la guerre qu’il est impossible pour lui de vivre dans un monde en paix. C’est également pour cela qu’Ivan se refuse à être envoyé dans une école d’officier, son esprit ne peut plus désormais se défiler à la guerre, il est condamné à vivre en son centre.


La dernière séquence onirique et splendide rappelle la beauté de l’enfance qui prend tout son sens à travers ces images. Le dernier plan montre un arbre brulé (seul symbole que la guerre est passée), au travers duquel une lueur perce, cette lueur c’est l’étoile qu’Ivan cherchait à attraper dans le puits, cette étoile qui désormais symbolise sa mère. Cette dernière séquence peut alors être interprétée comme une métaphore de la mort d’Ivan, désormais à nouveau joyeux, libre des hommes et qui s’élance afin de retrouver ceux qu’il a perdus. (Spoiler du film Le Miroir) La mort apparait alors comme une délivrance, comme c’est le cas à la fin du Miroir où un oiseau s’envole de la main du mourant. Une vision dualiste de l’être, l’âme qui quitte le corps pour rejoindre un monde supérieur.


Les acteurs sont comme toujours chez Tarkovski excellent mais je veux surtout parler de Nikolaï Bourliaïev qui joue le rôle principal, c'est-à-dire Ivan, son jeu est exceptionnel, cet enfant sait tout jouer l’effroi, le rêve, la colère mais également la douceur dans certaines scènes. Il ne fait nul doute qu’il apporte une grande puissance au film, son regard est plein de questions, il évoque également dans ses colères sa soif de vengeance.


Le film a des séquences qui rappellent le huis clos avec ses lieux étouffants et ses longs dialogues en intérieur, notamment dans le poste de contrôle. Ce lieu est celui où on comprend toute la haine d’Ivan contre les Nazis, lorsqu’il lit un message laissé par une famille russe sur le point de se faire exécuter et qui appelle à la vengeance. L’illusion qui s’en suit illustre la violence de sa douleur interne, on voit apparaitre toute la férocité de cet enfant autrefois si doux. « Je serai ton tribunal ! » s’exclame-t-il le couteau à la main imaginant la présence d’un soldat allemand.


Encore une fois, Andreï Tarkovski nous offre une œuvre magnifique, c’est un récit plein de poésie, les images sont remplies de métaphores multiples qui apportent toute sa complexité au récit. Un récit qui ne fait jamais dans le pathétique mais montre les choses telles qu’elles sont. Avec ce premier film, le réalisateur prouve sa grandeur et son talent, une maitrise technique exceptionnelle avec des plans à la composition parfaite et un travail sur les lumières irréprochables (tout est ombre et lueur). L’œuvre est pleine d’émotions et comme toujours chez le réalisateur, la pureté des images où l’on ressent le regard attendri du réalisateur atténue la noirceur de l’histoire, et offre les nuances qui font de ce film un chef d’œuvre, bien loin des œuvres de propagande distribuée à la même époque. Ce texte ne peut révéler toute la force du film, aucun texte ne le pourrait, il faut que vous le voyiez pour vraiment comprendre ce qui fait sa grandeur, la poésie de ses images, la force de ses acteurs, la pureté de son propos.


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le 21 juil. 2018

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