Tarkovski est un réalisateur qui a une aura un peu sacrée de légende du cinéma. Je voulais donc découvrir sa filmographie dans les meilleures conditions possibles, afin d'apprécier au mieux son œuvre. On m'a donc beaucoup conseillé de regarder sa filmographie dans l'ordre chronologique de la sortie des films, donc de commencer par celui-là. Tout ça pour dire que j'ai vu ce film avec les yeux de quelqu'un qui n'a jamais vu d'autres films du réalisateur, et que peut être ma critique ne va louer que des choses évidentes chez Tarkovski.
J'aimerais commencer par ce qui m'a le moins plu, à savoir l'intrigue du film. Ce que j'ai à lui reprocher c'est de parfois être assez distante avec ses personnages, qui ne se retrouvent qu'à être de simples fonctions (l'exemple le plus criant étant le personnage de Macha) ce qui nous empêche de vraiment être impliqué, notamment dans le dernier acte. Donc quand vient le drame, nous ne sommes pas forcément très émus, sûrement moins que le film cherche à susciter. Après, ce n'est pas si dérangeant vu que le film n'en fait jamais des caisses pour essayer de nous arracher des larmes, restant assez fin et subtil. C'est vraiment ce qui empêche selon moi le film de devenir transcendant et être un chef d’œuvre.
En dehors de ça, l'intrigue est prenante, grâce à son avancement qui fonctionne à mon sens très bien, et les questionnements qu'il suscite en permanence. Le film va constamment nous poser de questions sur la guerre, sur son horreur et sur la présence de cet enfant sur le front (présence sans cesse remise en cause sans qu'il ne quitte jamais le champ de bataille). On est pris par tout un tas de réflexions vraiment agréables, et malgré tout même si j'ai critiqué les personnages fonctions, ils apportent souvent des choses intéressantes thématiquement (ex : Macha sur la présence des femmes à la guerre et la manière dont elles sont vues par les hommes c'est à dire tout sauf par le prisme de leur métier). On sent vraiment une volonté d'apporter un propos fort au film. Le film retranscrit assez bien l'horreur de la guerre, que ce soit par la présence de cadavres ici et là tout le long du métrage, ou encore par la destruction matérielle qu'on constate en permanence tout le long du film. Et mention spéciale pour les dialogues que j'ai trouvé assez finement écrits (du moins via leur traduction en français).
Maintenant parlons de ce que le film fait de mieux, à savoir toute sa dimension plus formelle et technique. Déjà si on parle de la photo, j'ai trouvé ça vraiment sublime. Le film pourrait être encore récompensé pour ça s'il sortait cette année. Les jeux d'ombre et de lumière, rappelant par moment l'expressionnisme allemand, sont vraiment agréables et pertinents par rapport à la tonalité globale du film. Le travail des nuances de gris est vraiment intéressant, étant donné qu'on devine assez facilement qu'il s'agissait de la couleur dominante sur les lieux lors de la guerre.
Maintenant si on parle de mise en scène, je vais essayer de ne pas être exhaustif et être assez bref pour ne pas trop allonger la critique. Bon, déjà le film est d'une incroyable modernité dans sa réalisation. Le nombre de plans séquences est à donner le tournis tant ceux-ci sont réussis, et diversifiés. Jamais un ne ressemble à un autre déjà vu dans le film. Des fois, la caméra est très mobile, pour suivre les personnages dans des scènes qui le nécessitent (exemple : la scène dans la forêt avec Macha) et parfois ce sont des scènes statiques et donc nécessairement la caméra va se poser et rester statique de manière à ce qu'on puisse simplement regarder les comédiens jouer (un peu à la manière de ce que Bong Joon-Ho a pu faire dans Memories of Murder). Ce ne sera jamais tape-à-l’œil et toujours pertinent par rapport aux intentions scénaristiques des séquences en question. La caméra est rarement vraiment statique et les mouvements ont toujours un timing millimétré, c'est assez impressionnant. Je prends des exemples qui font vraiment branlette intellectuelle, mais c'est pour appuyer plus facilement le fait que le film est impressionnant d'une part par son ambition et d'autre part car absolument chaque idée a un sens, et que ce n'est pas la première qu'on imaginerait pour mettre en scène telle ou telle séquence. C'est d'une maîtrise absolument affolante pour un premier film, j'ai tellement hâte de voir tout le reste ne serait-ce que pour contempler ces images incroyables (en particulier Stalker, je meurs d'envie de voir ce truc le synopsis est fou sans parler des images que j'ai déjà vu du film). Mention spéciale pour les scènes oniriques vraiment astucieuses visuellement parlant
Si on parle du travail musical, les mélodies sont assez marquantes et les pistes sont toujours utilisées au bon moment pour accompagner l'image. Pas grand chose à dire de plus, c'est vraiment du bon.
En conclusion, l'Enfance d'Ivan, premier long métrage d'Andreï Tarkovski, est selon moi un excellent film qui, malgré des maladresses dans son récit, montre une maîtrise visuelle et sonore assez hallucinante qui donne vraiment très envie de voir le reste de sa filmographie. Une vraie merveille de premier film !