Dans la même soirée, j'ai vu au cinéma ce film et le dictateur de Charles Chaplin. Ces deux objets cinématographiques sont intéressants dans la dimension qu'ils prennent une fois que l'effort de contextualiser a été fait. Et clairement, le Troisième Homme de Carol Reed a une dimension critique assez directe dans la manière dont il dépeint Vienne dans l'après-guerre. Beaucoup d'allusions très directes sont faites à la manière dont la crise qui traversait l'Autriche à ce moment-là, suite à la seconde guerre mondiale, frappait le pays de plein fouet. On trouve également mis en avant les problèmes de clivage entre les autrichiens et ceux arrivant d'autres pays (notamment de l'Est). Bien que cet aspect politique ne soit pas l'ambition première du long-métrage, ces références et ce contexte permettent de densifier une intrigue en surface éculée et ancrer le film dans une réalité historique nous faisant penser que l'intrigue n'aurait pu se dérouler dans un contexte différent.
Si justement on parle de l'intrigue du film, elle fonctionne parfaitement malgré son extrême banalité de surface. Les archétypes de personnages sont connus du spectateur, l'aspect mystérieux n'a rien de vraiment surprenant dans son déroulement malgré un twist parfaitement amené et plutôt imprévisible à mon sens. Ce qui fait souvent défaut à ces films, c'est une extrême artificialité dans l'écriture. Or, le film parvient à nous faire croire à tout ce qu'il nous raconte. Les relations entre les personnages sonnent juste dans leur complémentarité et grâce à une évolution de leurs rapports de façon logique et limpide. Comme j'en parlais dans le paragraphe précédent, la dimension politique rend l'intrigue plus crédible encore son intrigue en plus d'y ajouter des axes de réflexion intéressants à creuser.
Maintenant, parlons de ce qui fait que le film passe du thriller bien ficelé à l'immense chef d’œuvre que j'estime qu'il est, à savoir les aspects purement formels. Premièrement, la photographie est juste à tomber par terre. Les jeux d'ombres et lumières (mettant en avant l'ombre des personnages quand on ne les voit pas, leur silhouette quand on les voit) est assez librement inspiré de l'expressionnisme allemand et c'est un choix parfait. Le Vienne dépeint dans le Troisième Homme n'est pas sans rappeler notamment le Berlin dépeint dans M le Maudit de Fritz Lang, dans un registre totalement différent. L'usage de la fumée dans les scènes en extérieur est excellent dans la nuance qu'il apporte au noir et blanc (l'image est toujours parfaitement lisible, malgré que le film soit extrêmement sombre), notamment sur les silhouettes. Je place une mention spéciale au climax final qui est un des plus grands moments que j'ai pu vivre dans une salle de cinéma si on parle simplement des images (l'usage notamment de la faible présence de la lumière, des reflets avec l'eau, tout était parfait). Pour parler des choix de plans, il me faudrait un revisionnage pour en parler de façon arrêtée mais j'ai complètement adoré notamment la façon dont le film fait ressentir les rapports de force en orientant différemment la caméra tout comme j'ai trouvé très efficaces les motifs visuels récurrents (la descente de pentes lors des courses poursuite notamment qui sont filmées de manière similaire en modifiant des détails faisant comprendre les intentions complètement différentes de ces séquences). La composition des cadres est également excellente, mais ça mérite revisionnage également pour m'y pencher plus sérieusement. Et pour finir, la musique est évidemment culte, et absolument excellente. Elle accompagne toujours parfaitement l'image et ajoute les émotions nécessaires lorsqu'elle apparaît. Elle est à l'image du film.
En conclusion, le Troisième Homme est un immense chef d’œuvre qui m'a hypnotisé tout du long, un film absolument jubilatoire où tout s'imbrique bien, un objet où la dimension formelle exceptionnelle rejoint un scénario parfaitement ficelé, aux questionnements moraux tout aussi intéressants. Déjà un de mes films préférés !