L'enfance d'Ivan est un film à la fois beau et désespéré, une oeuvre qui parle avant tout par son esthétique remarquable, tout entière au service de l'opposition entre la guerre et l'enfance, et par extension entre la guerre et l'humanité.
Cette opposition se traduit par une série contrastes entre des plans très lumineux, ceux de Ivan enfant avant la guerre (courant sur la plage), ceux - un peu moins lumineux - qui laissent entrevoir une échappatoire à ce monde en guerre (un bois de bouleau), et des plans d'une noirceur crépusculaire, (le village calciné, les marécages).
L'enfance, c'est cette étoile que la mère montre au jeune Ivan, cette étoile qui luit au fond du puits. "Elle est là parce que pour elle c'est à présent la nuit". Phrase prémonitoire de cette guerre qui vient, et expression allégorique qui relie le discours du film et sa plastique en clair-obscur.
C'est du fond du puits qu'Ivan voit sa mère mourir. ça y est, c'est à présent la nuit, son enfance est plongée dans la guerre.
L'enfance d'Ivan n'est pas que l'histoire d'Ivan, n'y cherchez pas une aventure qui ait un sens. Ce n'est pas non plus un film de guerre. Point de combats, point de soldats Allemands (on entend juste leurs coups de feu, on craint leurs fusées éclairantes). Juste quelques âmes perdues au milieu d'un spectacle désolant de marécages fangeux, de collines dévastées et de maisons brûlées. A travers Ivan, Tarkosvki nous parle de l'enfance qui se trouve en chacun de nous.
Le personnage d'Ivan n'est justement pas toujours au centre du film.
Ivan se comporte comme un adulte, il boit de la vodka comme les adultes. Et de tout le film, c'est le seul que l'on voit remplir des missions, en tant qu'éclaireur. Mais malgré un comportement très décidé et mature devant les adultes, il est confronté à des moments de terreur intense mêlant tous ses souvenirs des ravages infligés par la guerre, par les bombes, par la peur.
Face à la témérité du jeune Ivan, le comportement des adultes paraît bien fade, à la limite de la lâcheté. Notamment dans leurs rapports amoureux avec la jeune infirmière Macha. L'un refusant d'assumer leur attirance réciproque, la faisant renvoyer vers l'arrière. l'autre abusant de son grade pour la séduire.
C'est bien cela : face à la guerre, pas de surhomme, de virilité exacerbée, de soldats exceptionnels ou d'actes de bravoure : face à la guerre, nous sommes tous des Ivan, et c'est notre enfance, notre humanité qui est brisée. Les découvertes sordides faites par le jeune Lieutenant dans les décombres allemands viendront le confirmer.
Echo lumineux du rêve d'ouverture, la scène finale sur la plage pourrait achever le film sur une note plus légère, si cette course onirique ne se finissait sur l'image en gros plan d'un tronc d'arbre, qui obscurcit tout l'écran. Telle une étoile filante, la course d'Ivan disparaît dans la nuit.
Les croix et icônes délabrées, spectatrices impuissantes de cette désolation tout au long du film, ne changeront pas le destin d'Ivan.