Maurice Pialat, souvent considéré comme un des plus grands cinéastes qui ait été et qui soit, et pourtant personnage clivant. C’est d’autant plus compréhensible puisqu’avec ce premier film, bien que produit par Truffaut, il déroule l’anti 400 coups. Structure qui annonçait déjà une manière de déranger et de s’affirmer tel un personnage violent vulgaire et ravi d’être là. Moi je tranche et j’adore. Pialat me démontre une maîtrise de son cinéma et d’un cinéma.


 Tout d’abord, ce film ne contient pas malgré un naturalisme bien présent, de registre à proprement parlé. Le film se contente, comme par rapport au mouvement auquel il appartient, de démontrer sans jamais sublimer ni appuyer. Pialat laisse le spectateur regarder les scènes, on observe et on y trouve son bonheur ou son malheur. A la manière d’un Jia Zhangke (que j’y ai trouvé intéressant de mettre en comparaison) la caméra ne s’approche pas vraiment et reste souvent à distance, souvent par des plans américains, des panoramiques mais toujours à hauteur d’homme et bien sûr du plan fixe. Donc on rentre dans une sobriété qui nous laisse le luxe d’apercevoir ce qu’on peut trouver dans le cadre et finalement y trouver un peu ce que l’on veut, sans enfermer dans des gros plans la caméra, pour souligner une émotion. Ici on fait vœu d’annuler tout ton qui pourrait nous orienter.


 Cette volonté est pour moi, une réussite assez franche. Seulement il est intéressant, de distinguer comment le naturalisme prend forme dans ce film. A la différence d’autres de ces films tels que Police ou à l’instar d’autres comme Loulou, le film se muni d’un ressort naturaliste concrètement et totalement encré dans la littérature. C’est thématiquement que tout colle avec le courant. On est encré dans un récit principalement tenu par des prolos et taché de déterminisme. L’enfant commet ces actes à la pelle devant nos yeux et notre impuissance, dans un cadre caractéristique de la classe populaire des bas fonds de la France et tout ça taché d’un péjoratif. Péjoratif, selon notre interprétation, je relève tout de même une esthétique assez criarde dans le fond, qui illustre un certain mauvais goût, mais autrement le film est pour moi, une invitation chez les prolétaires. Une invitation chaleureuse et amicale. Je trouve que cette amabiance m’est agréable, de la danse avec une jambe d’handicapé et des chansons du mariage jusqu’à la revue pornographique prise à la légère par la mémère et la grand-mère, cela m’est agréable. J’y vois une forme de rejet d’un dandysme et de codes bourgeois, au gré de l’amusement, de la coexistence, de la tradition et de la drôlerie. 


C’est cela qui est bon dans ce film, tout est laissé libre a l’interprétation par sa distanciation. Il est aussi intéressant de relever le second caractère naturaliste du film celui cinématographique. On l’a déjà évoqué, la mise en scène y contribue fortement et les différents procédés cinématographiques très affiliés au mouvement tels que la prise d’acteurs inconnus, tous au jeu bressonien. Pour commencer le petit, qui de par un jeu, qu’on pourrait dire aux antipodes d’un Léaud, se fait très sobre et assez inexpressif. Ce qui laisse apparaître (pour utiliser un therme balzacien) une sorte de démence triste en son personnage, qui nous adresse un caractère inexpliqué et inexplicable, laissant un aspect majoritairement péjoratif, mais qui attise tout de même de la compassion. «il est dur mais il est à du cœur. Mais on peut pas le comprendre». Je trouve donc que par ce jeu assez peu communicatif, on nous laisse trouver ce que l’on veut sans que les personnages soit obliger de jouer pour nous le démontrer. C’est pour ça que j’aime les scènes d’affections entre le pépère ou l’a grand mère et l’enfant et l’incompréhension que l’on peut ressentir lorsqu’il y a une sorte de refus avec la mémère. Refus qui n’est pas forcément démontré et qui est une projection que chacun peut avoir ou peut ne pas avoir. Reste que la grand mère m’a renvoyé une sympathie, une peur et une compassion durant le film qui ne m’ont pas laissé indifférent. Lors de sa mort, cela fut deux fois plus impactant que l’émotion soit dissimulée pour l’enfant et pour la mémère. Il n’y a pas de plan de tristesse ou d’émotion réelle. On peut aussi relever un procédé, d’absentéisme de la musique autre que dans la diégèse du film, caractéristique d’un bresson.


 Enfin le film se contraint par moment à des scènes où on tente des vaines explications caractérielles de l’enfant, qui vont juste retirer des subtilités. Je pense aux séquences des visites du directeur, que ce soit celle dans la famille du début de film ou bien celle de fin. 


En conclusion, un film très intéressant et émouvant de la part de Maurice Pialat, un maître de son art et d’un courant cinématographique dont il est l’une des figures majeures.

PachaPitou
8
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le 10 oct. 2024

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