Les frères Dardenne affectionnent les titres qui ne révèlent pas immédiatement un contenu, préservent un mystère : "La Promesse" (1996), "Le Silence de Lorna" (2008), "Deux jours, une nuit" (2014)... Ici, non seulement le titre ne dévoile pas, mais il masque : loin que le sujet principal soit "l'enfant" annoncé - puisque celui-ci se retrouve essentiellement balloté, tellement passif que l'on pourrait souvent le croire incarné par un simple baigneur -, la figure qui s'impose au fil des scènes est celle de son jeune père, Bruno, magnifique Jérémie Renier, encore dans l'un de ses premiers rôles, campant un tout jeune homme, moitié SDF, et vivant d'expédients.
Malgré ses amours avec la jeune Sonia (Déborah François), amours qui viennent de faire de lui un père, Bruno se comporte comme un grand enfant : il a soigneusement évité de se rendre à la maternité durant le tout récent séjour que sa jeune compagne vient d'y effectuer, absence que celle-ci lui reproche amèrement ; la réconciliation des jeunes amants se déroule comme un chahut entre deux gamins, à grands renforts de bourrades et de poussées contre le partenaire ; avec le garçonnet que Bruno emploie pour ses entreprises illégales, ce "patron" immature plaisante comme dans une cour d'école ; on le voit jouer avec l'eau, à l'aide d'une baguette, comme un enfant ; supplier, pleurer derrière une porte, se laisser frapper, comme un enfant...
C'est encore avec une inconscience presque enfantine que ce jeune père rétif à endosser ce nouveau rôle va commettre sa plus grossière erreur, celle qui constituera le moteur essentiel du film et permettra à ce personnage principal, de prise de conscience en prise de conscience, de devenir autre. Il est d'ailleurs significatif que ce soit après son plus impardonnable écart que Bruno se retrouve à porter, physiquement comme moralement, les êtres qui lui sont les plus proches : Sonia, après sa pâmoison, Steve, son jeune complice, qu'il a entraîné dans une fuite trop risquée... Phorie déplacée, déportée, qui amènera Bruno à accepter de porter enfin, moralement et affectivement, celui qu'il n'aurait jamais dû lâcher...
La narration est sèche, les frères Dardenne s'attachant à suivre, sans nous distraire avec des intrigues secondaires, la construction progressive du personnage qu'ils ont placé au centre de notre attention. La musique est quasi-inexistante, les lieux - périphéries urbaines, zones en friche... - sont ingrats au possible. Le spectateur accompagne ces deux jeunes parents comme dans un chemin de croix. Avec la différence importante que ce chemin de croix ne mène pas à l'anéantissement mais au contraire à une forme d'accomplissement. Comme une belle-de-nuit qui ne déploie ses pétales que le soir, c'est tardivement, à l'extrême, qu'éclot enfin la note d'optimisme. Et l'on prend alors conscience que les deux frères ont simplement voulu explorer ici, à travers ce scénario tendu sur un axe unique, entre gouffres et rédemption, la difficulté qu'il peut y avoir, parfois, à accepter de devenir autre, à se détourner de l'enfant, plus ou moins accompli, que l'on a été, pour devenir enfin un père, pour un autre enfant...