Il me semble que la trajectoire de Philippe Garrel - qui est un cinéaste qui occupe une place particulière dans mon cœur de cinéphile - est celle d'un artiste qui s'est progressivement accoutumé à la narration. Ses premiers films (que je n'ai pas tous vus) reposaient uniquement sur la mise en scène, la puissance des images (à tel point qu'ils étaient sans paroles) - et ça marchait parce que Garrel est un filmeur sans égal. Avec L'Enfant secret, des éléments littéraires commencent à intégrer son cinéma ; les thèmes récurrents de quasiment tous ses films postérieurs sont disposés ici : cinéma, amour, enfants, drogue, folie, suicide. Mais l'on reste au stade de l'ébauche : le récit est impossible à suivre, la moitié des dialogues est inaudible... comme si le cinéaste ne semblait pas encore oser faire du cinéma "traditionnel". Il est vrai que dès lors qu'il introduit du littéraire dans ses films, Garrel flirte en permanence avec le ridicule car il fait un cinéma à fleur de peau, grave et taciturne ; mais disons qu'avec le temps il acceptera davantage ce risque. L'Enfant secret est l'un de ses films les plus faibles car mi-expérimental (les plans qui se répètent par exemple) mi-narratif ; Garrel n'a ici pas encore trouvé sa forme. Il me semble qu'il atteindra son meilleur quand il osera raconter des histoires sans perdre son exigence et sans que ce soit au détriment de son talent inouï pour la mise en scène. Pour moi cet équilibre sera trouvé dans ses films des années 2000. Ses films les plus récents sont plus conventionnels - au point même qu'ils se permettent de montrer autre chose que des personnages drogués et suicidaires - tout en restant très beaux, mais la pureté violente qui faisait le prix de son cinéma a quelque peu disparu ; celle-là même qui fait de L'Enfant secret un film qui malgré ses défauts demeure une œuvre marquante, car rares sont les cinéastes à filmer aussi bien.