On a là un film étrange. Etranges aussi les réactions des spectateurs, qui apparemment ne veulent y voir qu'une série B ratée, indigne du réalisateur de Blow Out, alors qu'il s'agit selon moi de l'un de ses plus grands films. Le premier plan attire tout de suite l'attention, montrant un terrain de jeu pour enfants, et deux adultes discutant sur un banc parmi les bambins. Le décor, plutôt gai donc, rappelle assez l'ouverture de Blue Velvet de David Lynch dont l'univers ne tarde pas à se craqueler après la découverte d'une oreille dans un champ. Chez De Palma, pas d'oreille, mais un père bien trop attentionné pour être honnête, qui prône, à une femme qui n'est visiblement pas la sienne, l'éducation des enfants dans un centre de psychologie norvégien. Bizarre comme sujet de conversation me direz-vous, mais ça n'a pas l'air d'inquiéter la femme, toujours aussi enjouée. Enjouée elle ne le restera pas éternellement car De Palma ne peut pas attendre plus de 5 minutes pour montrer la première scène de suspense de son film, déjà formidable, et il reste encore 80 minutes ! Dès lors, tout est étrange ; la femme du père zarbi du début ne comprend pas pourquoi son mari se barre en voiture juste après avoir exprimé une vive concupiscence qu'il n'a pas pu assouvir. Au lieu de ça il part retrouver le docteur Nix, tout aussi bizarre que lui (d'ailleurs il lui ressemble beaucoup ce docteur Nix, serait-ce un parent ?...). Pendant ce temps, la femme en a marre et la rencontre fortuite avec son amour de jeunesse tombe à pic pour combler sa libido. Et ça lors d'une nuit de Saint-Valentin absolument folle, qui va se terminer plutôt très mal pour la femme adultère.


Evidemment, il y a quelque chose d'éminemment grotesque dans tout ça, mais je pense que c'est une erreur de tout prendre au second degré dans ce film très riche. L'utilisation de voix off, de gros plans étouffants, d'angles bizarres et d'un montage parfois expérimental n'est évidemment pas sans risques, et pas mal de spectateurs n'y ont visiblement pas pris goût, mais il me semble que c'est tout ça qui rend ce film si passionnant dans la filmo de De Palma. A voir cette banlieue proprette où le mal naît de l'intérieur des psychismes, j'ai rapidement songé à un autre film sorti en 92 (sans doute le plus grand film de cette année-là d'ailleurs) : Twin Peaks : Fire Walk With Me de David Lynch, encore lui. La ressemblance entre les deux films est assez frappante, bien que Raising Cain soit beaucoup plus vulgaire et resserré. Même si le film a l'air d'une expérimentation débridée, il y a un réel fond dans L'Esprit de Caïn : le dévoilement des psychoses qui menacent les foyers américains, une envie de sexe inavouée et dissimulée derrière la famille, un alibi pratique. Mais derrière les apparences de bonheur, tout va mal, et le mari devient le réceptacle de toutes les contradictions de la société. Rapidement, le réel n'est plus clairement identifiable, les visions hallucinatoires s'entremêlent et l'on bascule dans l'horreur. Parce que Raising Cain est proprement terrifiant. Et, pour en revenir à Lynch (qui est un peu le Hitchcock contemporain), il est difficile de penser que l'auteur de Mulholland Drive n'a pas vu L'Esprit de Cain, tellement son Lost Highway y fait penser.
La forêt qui borde le terrain de jeux est purement fantasmatique, mais d'un fantasme puéril, premier degré. Le naturalisme (au sens deleuzien) du film de De Palma ne doit pas faire oublier son immédiateté, l'intellectualisation ne se fait pas du tout au détriment de la jouissance très "série B", et c'est là la plus grande force du film.


L'intellectualisation passe aussi, c'est évident chez De Palma, par la relecture d'Hitchcock. Ici, c'est surtout à Psychose que l'on pense, et donc du même coup à Pulsions, déjà inspiré de la même oeuvre (notons au passage que le titre original du film ci-critiqué évoque le nom de l'acteur principal de Dressed to Kill...). Alors que le début du film semblait se concentrer sur Jenny, la femme adultère et qui du coup culpabilise, comme Marion Crane, celle-ci disparaît dans une rivière (non sans une nouvelle frayeur pour le spectateur...), comme Marion Crane, et tout bascule. A partir de là, tout effort pour chercher une vraisemblance à l'intrigue est vain, puisque tout ce que l'on croyait acquis est remis en cause, jusqu'à la mort même de Jenny. Tout est de plus en plus bizarre, et l'on est assez rassuré lorsque De Palma semble décidé à nous faire suivre l'enquête des policiers, aidés d'une psychiatre cancéreuse dont la perruque jouera un rôle capital dans la suite des événements. De Palma en profite pour réaliser le plan le plus long et le plus impressionnant (avec le dernier...) du film, qui, à l'image de l'oeuvre, est à la fois virtuose et ridicule, bouffon et effrayant. La suite sera du même acabit, et il faut dire que la dernière demi-heure du film est absolument sidérante, car repoussant de plus en plus loin les limites du suspense à tout prix (et surtout de la cohérence) et ne laissant absolument aucun moment au spectateur pour reprendre ses esprits, puisqu'il sait toujours que le plus fou et le plus haletant est à venir. La séance d'hypnose est l'occasion pour John Lithgow de s'en donner à coeur joie dans le cabotinage, et c'est exquis ! Suit le fameux plan en plongée repris de Psycho (la matrice du film sans doute) ; puis l'incroyable, l'inimaginable, la titanesque avant-dernière séquence, complètement délirante et qui laisse véritablement "sur le cul". A ce moment-là on se dit que c'est fini, mais non Brian en rajoute une couche histoire de nous achever, et le dernier plan est absolument stupéfiant. Cette dernière image résume le geste global du film : derrière la mère et sa fille, symboles du bonheur à l'occidentale, se cache l'homme travesti, le fou furieux refoulé.


Après ça, que dire d'autre que respect monsieur De Palma ? Visiblement certains trouvent d'autres choses à dire mais en ce qui me concerne la vision de ce Raising Cain fut aussi épuisante qu'un marathon !

Neumeister
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le 8 mars 2014

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Neumeister

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