Jeune avocat ambitieux, Joe Morse gère les affaires d'un puissant gangster contrôlant notamment les paris alors que dans le même temps, il cherche à aider son frère Léo, petit malfrat en difficulté financière...
Alors que les États-Unis sortent de la Seconde Guerre mondiale et entrent dans la guerre froide, le Mccartysme commence à pointer son nez et verra notamment plusieurs cinéastes placés sur "liste noire". C'est le cas d'Abraham Polonsky qui signe là son premier film et qui devra attendre 1969 pour en faire un second aux USA, après un exil en Europe. Se basant sur un scénario qu'il a lui-même écrit en adaptant le roman Tucker's people d'Ira Wolfret, il met en avant la corruption, dénonce les dérives du capitalisme et le met en lien avec le milieu des gangsters, notamment lorsqu'il analyse les loteries illégales. Orchestrant son récit avec brio, il mêle plusieurs genres, notamment policier, drame et noirceur avec toujours un côté tragique qu'il exploite à merveille.
Le film étant assez court (78 minutes), Polonsky rentre assez vite dans le vif du sujet et braque sa caméra sur ce jeune avocat qui va devoir gérer les affaires d'un puissant gangster et aider son frère, tout en rencontrant une jeune femme. Personnage plutôt cynique et ambitieux, avec de bonnes intentions mais n'ayant peu de scrupules, Polonsky nous intéresse à lui et arrive à gérer toutes les sous-intrigues qu'il met en place, en axant surtout sur les liens qu'il a avec son frère, qu'il met explicitement en parallèle avec l'histoire d'Abel et Caïn. Il n'en oublie pas pour autant les rôles féminins où sont opposés le mal et la pureté à travers deux figures qu'il ne manque pas d'exploiter et qui vont influencer la vision de Joe.
Il retranscrit fort bien une atmosphère sombre, fataliste et pessimiste, prenante tout le long et de plus en plus forte, ne rendant que plus puissante la chute précipitée de Joe. Polonsky explore la psychologie de son personnage principal ainsi que les affrontements qu'il aura, physique ou moral, avec ceux tournant autour de lui et en fait ressortir toute la puissance et noirceur, tant chez les personnages que les institutions. Il se montre brillant derrière la caméra, opte pour une réalisation à hauteur d'homme et use d'un jeu d'ombres et de lumières rappelant l’expressionnisme, lui permettant de bien exploiter une ville de New York, gangrenée par le banditisme, et ses rues désertes, ainsi que la solitude de Joe. Si dans l'ensemble toutes les interprétations sont bonnes, Joe Garfield éclipse ses partenaires par son talent et la façon dont il rentre dans la peau de cet avocat qui verra plusieurs dilemmes précipiter sa chute.
Un film aussi riche que sombre où Polonsky met en avant ses doutes sur le système américain à travers le parcours d'un avocat corrompu qui va devoir faire face à plusieurs dilemmes dans un milieu gangrené par le gangstérisme.