L'Enfer du Dimanche, c'est une sorte de quintessence du sport et de la grinta sur grand écran, comme peu de films ont réussi à l'illustrer jusqu'ici. Une quintessence qui peut être résumée aux quinze premières minutes de la réalisation d'un Oliver Stone survolté et en pleine possession de son cinéma. Al Pacino sur le banc de touche, le visage buriné, témoin d'un temps, d'une conception du football qui s'efface peu à peu. Face à cette vieille génération complice à l'aura de légende, solide mais déclinante. Face à une patronne intraitable qui mangerait ses propres enfants si cela lui garantissait la victoire. Et la naissance d'une révélation qui végétait en réserve.
La suite de l'Enfer du Dimanche ne sera que le développement de ces enjeux intimement liés et l'occasion pour Oliver Stone de poser un regard acerbe sur la discipline, sur ses coulisses peu reluisantes, son star system qui pourrit et détruit tout ce qu'il touche, son argent facile et sa compromission qui va jusqu'à mettre en péril l'intégrité physique de ses gladiateurs qui assurent pourtant son rayonnement.
Stone critique aussi l'économie du jeu, ce spectacle aux accents parfois factices qui dévore ses joueurs et les pousse aux rang d'individualités superstars célébrées à coups de primes faramineuses, de campagnes publicitaires et de sponsoring. Un tourbillon médiatique qui emporte des pépites éphémères, déjà élevées comme des demi-dieux à peine le pied posé sur le terrain au lendemain d'une performance heureuse. Jusque dans l'affrontement, attisé par les médias friands de dérapages et de clashs. Al Pacino et Jamie Foxx s'opposent sur deux sensibilités face au sport et au sacrifice. L'une passéiste et respectueuse des tableaux d'honneur, l'autre ultra télégénique qui casse les codes autant que les tactiques antiques d'un cahier de jeu trop lourd. Une figure incontrôlable qui passe si bien dans les médias tout en détruisant un esprit d'équipe déjà fragile et incertain. Qui convient cependant à un jeu dynamique, jeune et friand de scores fleuves, manifestation ultime du sport spectacle envisagé comme un combat de gladiateurs moderne.
Le discours d'Oliver Stone est limpide. Caméra au point, il désigne, il dénonce, il égratigne. Mais jamais au détriment du spectacle qu'il offre. Car l'Enfer du Dimanche est aussi l'expression de l'importance d'une nouvelle religion païenne où le pasteur, vêtu de noir et de blanc, le sifflet à la main, sanctionne les fautes et valide les touchdowns. Il fait se soulever les foules à l'annonce du match qui débute. Et Oliver Stone filme ses sportifs au raz de la pelouse et les met en scène comme de véritables nouveaux dieux, au coeur de l'action. La caméra tremble dans l'impact des contacts pour en rendre toute la violence, magnifiant les corps des idoles martyrisées, en sculptant d'autres dans des poses de statues antiques aux lignes fluides ou tourmentées. Sur le synthétique ; ou sous la pluie et dans la boue. Les courses éperdues derrière les records, les yards accumulés, Stone les inscrit dans une sorte de postérité, comme il ralentit le temps pour capturer cet instant magique où le cuir ovale tourne sur lui-même dans une longue passe magique du quaterback phénomène.
Le sport est aussi d'une violence inouïe, les chocs titanesques, les coups de colère de la puissance d'un typhon. Les ordres et les tactiques sont hurlés, le jeu est nerveux et rapide, rythmé par une BO incroyablement exubérante et folle, comme le personnage de Jamie Foxx, tout aussi incontrôlable et imprévisible. Oliver Stone décrit le football américain comme une certaine expression d'un paradis ancien et perdu virant subitement à un enfer dominical ployant sous les enjeux, l'argent généré et les égos surdimensionnés. Mais pour Dieu, quel jeu spectaculaire ! Quelles images d'une force incroyable !
Comme si pour Oliver Stone, les dieux aimaient les sports de contact.
Behind_the_Mask, for the love of the game.