« Au village, sans prétention / J'ai mauvaise réputation / Qu'je me démène ou que je reste coi / Je passe pour un je-ne-sais-quoi / Je ne fais pourtant de tort à personne / En suivant mon chemin de petit bonhomme / Mais les braves gens n'aiment pas que / L'on suive une autre route qu'eux. (…) » pourraient reprendre Juliette, son père Raphaël et la veuve Adeline, les personnages principaux de L’envol, êtres à part, vivant à la marge du village, mis au ban par les villageois bien que rien ne puisse leur être reproché. De même le cinéaste Pietro Marcello qui avec son dernier long-métrage sort des sentiers battus : son film hybride, voguant entre réalisme social réalisme magique, documentaire d’époque et conte, surprend, interpelle, intrigue, tout comme sa caméra pleine de heurts, ses gros plans à l’amateurisme feint ou le grain de l’image. Doit-on pour autant le montrer du doigt ?
Tant le thème de la chanson de Brassens que le film exaltent au fond la même valeur, sacrée, entre autres, chez les artistes et créateurs : la liberté. Or Pietro Marcello, au risque d’en heurter certains, jouit d’une liberté narrative grande si bien qu’il se permet des ellipses nombreuses, des rebondissements foisonnants et surtout un inattendu saut dans le merveilleux, près de la frontière liquide de l’eau (de la rivière), comme le veut la tradition littéraire, avec en prime, en tant qu’adjuvant, le personnage à la fois lumineux et mystérieux de la sorcière / fée des bois (l’étonnante et excellente Yolande Moreau), aux yeux clairs comme une source de lumière au milieu d’un visage souillé. À ce moment se déclare une rupture entre le monde de l’enfance, réel, rustre, bucolique et médiéval et celui qui adviendra, magique, moderne, même, plein de promesses.
La première partie, sera traversée par l’amour inconditionnel de Juliette envers son père, incarné par le remarquable Raphaël Thiéry, dont Marcello explore très bien les qualités, figure du père protecteur aimant mais pudique, homme-ogre au gros cœur, taciturne et discret, rustre et corpulent mais d’une grande sensibilité, capable de couper des bûches à la hache mais dont les doigts de fée et les mains rugueuses peuvent transformer le bois en or, artisan-artiste-musicien, être magique et préhistorique, surgi semble-t-il des profondeurs du temps. Puis, dans la seconde partie, Juliette rêvant d’un envol symbolique, c’est-à-dire d’évasion, d’émancipation, d’un amour autre que filial, confie son cœur à un beau jeune homme venu du ciel, aviateur de passage, incarné par Louis Garrel, avec qui elle se donne au milieu des champs sous la lumière ténue du crépuscule.
Une intemporelle poésie parcourt ce très beau long-métrage qui aurait dû figurer dans la sélection officielle. Pietro Marcello, en affinant une action à certains endroits trop dense et en assurant un peu plus de cohésion à son film parfois trop éclaté, parviendra certainement, à l’image de sa compatriote Alice Rohrwacher dont il est très proche artistiquement, à s’y hisser.
7,5/10