C'est la première fois que je pénètre dans l'univers de Pietro Marcello, donc je ne peux pas rédiger de critique comparant ce film aux autres œuvres du réalisateur italien. Reste que L'Envol me donne envie de découvrir ses créations antérieures.
L'ensemble est un récit, commençant dans un contexte historique bien concret (ce que l'utilisation d'images d'archives colorisées met en exergue !), à savoir dans les mois suivant la fin du premier conflit mondial, et s'étalant sur la durée de l'entre-deux-guerres (au passage, chapeau pour la manière dont est employé un simple champ-contrechamp pour introduire une longue ellipse dans le temps à un moment donné !), illustré par une mise en scène présentant une photographie crue, authentique, du style 1900 de Bernardo Bertolucci, filmant la beauté naturellement (sans insuffler l'impression d'éclairage artificiel !), là où elle peut être dans un cadre bucolique, du nord de la France, pouvant être gris et boueux ou, à l'opposé, chaud et lumineux, le plus souvent avec des couleurs sobres (ce qui fait que l'éruption du rouge, symbole du vivant, de l'excitation, de la sexualité, de l'envol, n'en est que plus marquant !). Ce qui fait penser à l'esthétisme vériste, mouvement artistique venant du pays de Marcello.
Sur le plan de l'histoire, le réalisme qui guide entièrement, dans un premier temps, le tout, laisse un peu de place ensuite à une forme de magie qui casse, sans ostentation, l'air de rien, seulement par les faits, les limites de la réalité. Et par-dessus tout cela, on a le droit à une chronique sociale, dans laquelle l'émancipation féminine ainsi que l'amour réciproquement fort et dévoué entre un père veuf et sa fille tiennent les premiers rôles. Sans parler d'instants musicaux qui sont des suspensions poétiques dans le temps (bien aidés par une BO inspirée de Gabriel Yared !).
Tout au plus, je regrette que le sujet de l'ostracisme dont font preuve les villageois (pour la raison que ces derniers sont profondément cons... oui, c'est un motif suffisamment crédible selon moi !) à l'égard des protagonistes ne soit pas plus intégré pour mieux mettre en avant les difficultés que cela leur pose dans la vie quotidienne, tout comme le fait que certains personnages (à l'instar de ce qui semble être la fille de la fermière incarnée par Noémie Lvovsky ou du forgeron violoniste vivant avec nos réprouvés puisqu'ils en sont eux-mêmes !) ne soient pas plus creusés (à vrai dire, ils ne le sont pas du tout !). Sur le dernier point, on aurait pu avoir un supplément de chair bienvenu parce que je me suis attaché à ce petit monde et que j'aurais bien voulu un peu mieux le connaître... dix ou vingt minutes de plus pour ça n'aurait pas été de trop.
Si Noémie Lvovsky est remarquable dans le rôle d'une fermière qui est dévouée à nos deux personnages principaux et si Louis Garrel, malgré le fait qu'il apparaisse peu et qu'à partir du milieu du film, impose sans mal son charisme et son charme inhérents (rendant complètement vraisemblable que la protagoniste soit immédiatement foudroyée par un coup de foudre !), en incarnant l'objet de la passion de notre héroïne (ce qui n'est pas la signification ici d'un retour à l'ordre, mais, au contraire, un cran de plus dans l'émancipation pour l'amoureuse !), ce ne sont pas eux les plus mémorables. L'honneur en revient tout simplement aux deux inconnus en tête d'affiche que sont Raphaël Thiéry (dont le personnage s'appelle Raphaël !) et Juliette Jouan (dont le personnage s'appelle... ben, Juliette !), respectivement dans les rôles du père et de la fille. Ils sont hallucinants de talent. Quelle intelligence de la part de Marcello de leur avoir fait confiance.
Raphaël Thiéry, avec sa carrure de colosse, buriné jusqu'à la plus petite phalange, au grand cœur, dont la force physique dissimule une grande fragilité, n'est pas sans rappeler un Séverin-Mars, un Gabriel Gabrio ou un Harry Baur. Si vous vous demandez qui sont ces figures oubliées du septième art... ben, ils incarnent toute une essence du cinéma français de la fin des années 1910 jusqu'au début des années 1940. Thiéry n'aurait pas détonné lors de cette période. C'est dire combien il est crédible dans ce film. Quant à la sublime Normande Juliette Jouan, ce film marque ses débuts au cinéma et c'est comme si elle avait fait cela depuis toujours en dégageant toute une grâce, toute une sobriété, tout un rayonnement du début jusqu'à la fin. C'est une révélation. Ce sont deux révélations. Rien que pour eux, le film vaut le détour.
Bref, je ne saurais trop vous conseiller la vision de cet Envol simple, beau, émouvant... allez vous envoyer en l'air...