Les amateurs du genre auront tôt fait de comparer L’Escadron noir au célèbre L’Homme qui tua Liberty Valance, sorti bien plus tard en 1962. En effet, le film de Raoul Walsh peut être considéré comme une sorte de préquel à celui de John Ford de par les thématiques qu’il entrouvre et le style visuel qui le caractérise. On y retrouve le même dualisme entre le cow-boy incarnant la force et le courage, et l’homme de lettres incarnant la culture et la réflexion ; on y retrouve des scènes similaires d’apprentissage de la lecture et de l’écriture, qui offrent d’ailleurs les scènes les plus légères et enjouées du film. Et même si L’Escadron noir ne se hisse pas au degré de perfection plastique et d’écriture de Liberty Valance, il possède tout de même certains arguments à faire valoir.
L’Escadron noir n’a jamais joui d’une grande réputation, même à l’époque de sa sortie, la faute sans doute à la réputation des studios de production eux-mêmes. Car jusqu’en 1940, Republic Pictures enchaînent les films ou séries à petit budget, notamment des westerns de série B entre autres incarnés par un John Wayne inconnu du grand public. Mais voilà, le triomphe de La Chevauchée fantastique de Ford en 1939 entraîne la renaissance du genre et la consécration de Wayne, dont la carrière décolle. D’ailleurs, en plus d’avoir été tourné immédiatement après La Chevauchée fantastique, le film reconduit deux des vedettes ayant participé à sa réussite : le charismatique John Wayne, donc, et la sublime Claire Trevor. En y ajoutant des acteurs en vogue de l’époque tels que Walter Pidgeon ou Roy Rodgers, le casting a d’emblée de quoi faire rêver. L’arrivée de Raoul Walsh aux commandes, emprunté exceptionnellement par Republic Pictures à la Warner, ne fera qu’entériner la promesse d’un grand moment de cinéma.
Le scénario est adapté d’un roman de W. R Burnett, The Dark Command : A Kansas Iliad. Simplement intitulé Dark Command en version originale, le film ne perd néanmoins pas de vue l’importance de la localisation du livre : le Kansas. Cet État est peut-être l’un des plus tâchés de sang de toute l’Amérique du XIXe siècle, au cœur des plus sombres événements politiques, des pires violences durant la guerre de Sécession, et avec des milices profondément esclavagistes. Rares – voire inexistants – sont les films à traiter avec une totale transparence de ces réalités au cinéma, mais L’Escadron noir a au moins pour lui de s’y essayer en limitant les omissions douteuses. Ainsi l’on découvre le personnage historique de Cantrell (Walter Pidgeon), homme lettré, cultivé, mais surtout cruel, manipulateur et volontiers menteur. En face, Bob Seton (John Wayne) est le héros américain typique, chevaleresque et charismatique, qui fait triompher le bien aux dépens de ses ennemis. C’est du cinéma, du bon cinéma, du grand cinéma par moments, néanmoins c’est encore un peu lâche et mensonger historiquement.
Un parti-pris qui s’explique par deux raisons. La première, c’est la volonté des scénaristes et de Hollywood en général qui, à l’époque, imposaient aux réalisateurs de faire l’impasse sur certains aspects de l’histoire, sur certains traits de caractères des personnages trop extrêmes à leur goût (ici, ce sera l’esclavagisme qui sera soigneusement évité et le massacre de la ville de Lawrence orchestré par Cantrell, dont les centaines de victimes seront passées sous silence). L’autre raison, c’est la volonté de mettre en valeur John Wayne, tout juste découvert du grand public, en lui taillant un rôle sur mesure dans la continuité de celui de La Chevauchée fantastique, c’est-à-dire un cow-boy au grand cœur qui tue son rival, ici Cantrell, lequel n’est pourtant pas mort de sa main d’après l’histoire. Mais ici, l’Histoire est secondaire à l’histoire, la véracité est subordonnée au spectaculaire, ce qui peut déranger mais qui, en plus d’être tout à fait commun au cinéma, permet peut-être de mettre en scène de meilleurs morceaux de bravoure.
Finalement, on retiendra de L’Escadron noir sa valeur cinématographique plus qu’historique, donc. S’il échoue partiellement dans le traitement d’une partie de son sujet (alors qu’encore une fois, toute la partie concernant les élections et le passage de l’autorité du revolver à celle de la Loi, est très réussie), il excelle en contre-partie d’un point de vue technique. La photographie superbe, les effets visuels révolutionnaires (l’usage des maquettes en lumière naturelle, notamment), ses acteurs formidables et son ambiance ambivalente entre légèreté et noirceur : tout ceci participe à la qualité indéniable de ce western oublié, qui mériterait que l’on s’y attarde davantage pour en redécouvrir toute la complexité. En attendant, on ne peut qu’essuyer quelques regrets de ne pas avoir pu assister à davantage de collaborations entre John Wayne et Raoul Walsh, deux caractères bien trempés n’ayant jamais trouvé leur alchimie.
[Article à retrouver sur Le Mag du Ciné]