Régression sociale
Le Sud, l'esclavagisme, l'amour, Clark Gable... difficile de ne pas penser à Autant en Emporte le vent lorsqu'on s'intéresse à L'esclave Libre de Raoul Walsh. C'est au cœur de la guerre de Sécession...
le 9 nov. 2016
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L’action commence dans le Kentucky en 1853 où la toute jeune Amantha Starr vit avec son père qui, en tant que planteur, est à la tête d’une vaste propriété (Starrwood) où il emploie de nombreux esclaves noirs. Malgré l’absence de sa mère morte, Amantha est une fillette heureuse de vivre. Son père l’envoie étudier dans un pensionnat où elle est fascinée par un pasteur.
Devenue une charmante jeune femme de caractère (Yvonne de Carlo) et habituée à vivre sur un bon train, Amantha apprend que son père est au plus mal. Retour au pays en catastrophe où elle n’arrive malheureusement que pour l’enterrement. Là, une révélation l’assomme : sa mère était en réalité une esclave. Désormais orpheline, elle est une sang-mêlé. Considérée comme une noire, elle devient la propriété d’un homme qui veut faire une bonne affaire en la vendant comme esclave à la Nouvelle-Orléans. On assiste à la réunion où différents esclaves sont vendus en public, traités comme des bêtes de somme. Habituée à la bonne société, Amantha est franchement mal à l’aise. Sa mise à prix entraîne un véritable flottement qui est rompu par l’offre d’un homme qui s’avance vers le podium : Hamish Bond (Clark Gable) propose 5 000 dollars, une somme énorme qui fait taire tous ses éventuels concurrents.
Avec Clark Gable en vedette, on pourrait craindre un pâle (et inavoué) remake du somptueux Autant en emporte le vent. Il n’en est rien. Raoul Walsh adapte un roman du grand écrivain sudiste Robert Penn Warren et fait œuvre personnelle. Son héroïne se retrouve coincée dans un statut qu’elle refuse de toutes ses forces (un peu comme la future héroïne de Mirage de la vie de Douglas Sirk), tout en sachant parfaitement à quoi s’en tenir. Elle a connu la condition de jeune femme blanche riche. Dans le même temps, elle a vu comment les esclaves noirs sont traités. Se voyant rejetée dans cette classe, elle attend d’être traitée en conséquence. Voir Hamish la traiter comme une blanche, elle ne supporte pas. Elle a l’occasion de dialoguer avec Rau-Ru (Sidney Poitier) le régisseur d’Hamish dont une phrase la marque profondément « La bonté fait de vous un esclave à vie ». Rau-Ru comme Amantha ont un mal de chien à accepter la bonté d’Hamish. Parce que Hamish traite Amantha comme sa reine (autre titre de Walsh Le roi et quatre reines également avec Clark Gable), en lui offrant des vêtements de luxe et un appartement de rêve dans sa propriété. Un lieu d’une richesse visuelle incroyable, avec une cour intérieure où la végétation et la luminosité donnent un charme inimitable. Les intérieurs sont à la hauteur, décoration somptueuse et soignée dans tous ses détails, notamment les tentures en tapisserie jaune doré des fauteuils et canapés.
Arrivent la guerre de Sécession et les soldats yankees. L’agitation des esclaves entraîne une vigilance des soldats dirigés par le général Butler (très amusant de voir Clark Gable tiquer légèrement en entendant ce nom, comme s’il lui restait quelque chose de Rhett). Amantha n’est plus en sécurité et Hamish organise son départ. Amantha n’est-elle que reconnaissante ?
Un film éblouissant où la tension ne retombe jamais avant un final très émouvant. Walsh se montre d’une grande maîtrise narrative. Il exploite parfaitement les capacités de ses acteurs. Gable a vieilli depuis Autant en emporte le vent (18 ans quand même) mais il passe bien. Yvonne de Carlo trouve en Amantha le rôle de sa vie. Elle est belle, frémissante, digne, ce que certains gros plans mettent bien en valeur. Ses tenues sont d’une grande richesse, ce qui n’empêche pas Hamish le gentleman de lui dire que c’est elle qui met en valeur la robe qu’elle porte.
Walsh alterne les scènes en intérieurs et en extérieur (cimetière, ville, rivière avec un bateau avec roue à aube d’un blanc idéal typique de l’époque). La BO intègre des chants traditionnels tels que « Swing low, seet chariot… » ainsi qu’une chanson a capella par Sidney Poitier. L’ensemble est toujours au service du film.
On a évidemment droit à la nounou noire d’Amantha jeune, mais il n’y a jamais ni complaisance ni exagération dans les comportements. Walsh fait sentir que si les deux communautés ont des statuts très différents, noirs et blancs cohabitent dans ce sud qui laisse voir une belle douceur de vivre. Bien évidemment derrière cette douceur de vivre, on sent dès le début qu’il y a une vraie tension, puisque deux esclaves qui tentaient de s’échapper sont pourchassés et repris. En réalité, chaque personnage du film est soumis à ses propres contradictions. Ainsi Hamish le propriétaire si généreux avec Amantha et humain avec ses esclaves vit avec son passé de capitaine d’un navire qui participait à la traite des noirs vers l’Afrique. Un film d’une richesse inépuisable !
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le 12 juin 2013
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