" Nous avons fait un long voyage pour parvenir à nous-même "
Oui ce langage à vif, détruit, destructeur, avec ses codes particuliers écorche, déchire, perturbe, fait peur à notre pourtant si belle langue française. Marivaux lui, le manipulait le langage, pour nous montrer alors qu'il était difficile de s'en défaire comme de sa condition. Ici Kechiche le transcende pour en faire un cri permanent qui ne s'arrête jamais.
Marivaux parlait d'amour, de hasard, mais en fait point de hasard, pas trop d'amour. Tout était calculé, autant que tout échappait. Comme ici, si la déclaration de Krimo est calculée, elle lui échappe, les conséquences aussi. Cet embrasement permanent qui s'empare de ces personnages, en ébullition totale, en perte de contrôle mais en pleine vitesse, excessive, fatigante, est une manière de combler le vide, le rien. Point de rencontre entre la littérature et ces jeunes bien que la représentation fasse naître l'émotion et le rire et que l'esquive du personnage de Marivaux devient aussi celle de Lydia qui ne parvient pas à se décider ou se décide trop tard. On la force et la brusque et ça ne l'amuse pas. Un peu comme Krimo qui se force à vouloir faire du théâtre, sans joie, sans folie, sans abandon. Sa prof a beau hurler à la libération, il reste là pataud, sans réponse. Même l'intervention minutieuse et violente de son pote n'y changera rien. Il n'y aura pas de réponse, pas d'amour. Ils en parlent tout le temps de l'amour mais pourtant ils se quittent. A l'image de Magali qui aime mais qui quitte, qui quitte mais qui s'accroche.
Ils font alors beaucoup de bruit pour rien, ils s'agitent mais rien ne bouge, tout stagne, tout s'enlise. Parfois, ils captent un peu d'apaisement, dans des rêves: devenir comédienne (pas actrice enfin ça dépend), partir sur un voilier mais à tout instant autant le film que cette jeunesse peuvent se rompre, exploser, tout détruire... C'est un cinéma qui ne coupe jamais le langage, le laisse se développer, à l'état brut, un cinéma qui rêve un monde tout en le livrant tel qu'il est, fragile, clos, en hystérie constante mais terriblement piégé, avec de temps en temps quelques trouées d'espoir, comme dans le sourire d'une prof qui a réussi à faire un peu de théâtre. Les deux langages entrent alors en résonance pour démontrer que le vent s'agite avec des mots, mais que l'émotion et le sentiment vrai demeurent, même inaccessibles.