You say you want a revolutiooooon...

Je mets 5, non par charité, mais parce que voilà un film qui aurait pu être bon, mais s'en est abstenu.

Donc notage mitigé, entre naufrage total et chef-d'œuvre empêché.

Je ne connais pas Mathias Gokalp, que j'ai entendu lors d'une avant-première vanter les mérites de son film et le talent de sa scénariste.

Dans les deux compartiments, pourtant, il y a fort à redire.

***

Je ne résumerai pas l'intrigue, qui est tirée du livre absolument remarquable, entre sociologie et autobiographie, que Robert Linhart a consacré à son expérience d'établi, c'est-à-dire, de militant maoïste qui pour faire la révolution, estime que sa place est auprès du prolétariat, et qu'il doit être, disons, celui qui encouragera les ouvriers — ici, dans l'automobile, chez Citroën — à se révolter contre l'arbitraire patronal.

Et de l'arbitraire patronal, il y en a à foison, à faire frémir, entre paternalisme, coups bas — faire payer les concessions faites lors de mai 68, monter des accusations bidon pour foutre quelqu'un à la porte —, et violence verbale et physique envers des OS qui, malgré les 40 h du Front populaire, font manifestement 70 h par semaine pour le même prix.

Les insultes spontanées, et tellement datées, du petit encadrement font froid dans le dos : sale bougnoule, abruti, etc. Un déchaînement pulsionnel proprement effrayant, intolérable à nos oreilles d'aujourd'hui.

Ici, s'entend très justement notre distance à cette époque : un autre monde.

***

Quand je dis intrigue tirée de Robert Linhart, c'est à entendre : une intrigue tirée par les cheveux, ou un salmigondis à partir de Linhart. Qui était, ce soir-là dans la salle et manifestement, fort ému.

On le serait à moins : cette expérience a été très douloureuse pour lui, il y a perdu la santé psychique — ah, cette brève scène à Sainte-Anne où, en burnout complet, son alter ego filmique fume en rigolant avec un pote patient.

Manifestement jamais franchi la porte d'un HP, l'alter ego.

Enfin Linhart a payé cher son militantisme d'alors ; et depuis ce livre OVNI, il s'est tu, comme l'a écrit sa fille Virginie. Que l'on voit du reste, ici, petite fille.

Pour ma part je serais surtout affecté d'être interprété par Swann Arlaud, qui est d'une assez curieuse espèce d'acteur, seul représentant à ma connaissance du style asperge vivante. Le film est nettement pénalisé par le manque d'incarnation du personnage central, dont on ne s'explique pas qu'il ait pu choisir la voie révolutionnaire, alors que même beurrer une tartine semblerait physiquement trop éprouvant pour ce dadais amorphe.

De fait, on ne peut pas dire qu'il irradie du charisme propre à soulever les foules : même devant une salle de classe, à l'issue du film, il semble s'exprimer avec un prompteur.

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Gokalp expliquait ce soir-là son choix de faire parler les acteurs comme des gens de notre époque, et non avec l'accent populaire d'alors.

Tu parles d'un hommage.

On dirait le Germinal de Berri — ce qui n'est pas précisément un compliment venant de moi, parce qu'être incapable de donner un semblant d'accent ch'ti aux acteurs, c'est aussi profondément méprisant que peut l'être, à mes yeux, concéder à la production, dans ce film sur 68, de ne pas faire entendre la gouaille du prolo parisien.

Cela dit Swann Arlaud rendrait la prestation de Renaud en Étienne Lantier digne d'Orson Welles.

***

Je finirai, il se fait tard, par quelques observations :

  • Denis Podalydès est épatant, avec sa coupe de comptable et ses lunettes fumées, dans le rôle du contremaître — personnage veule et méprisant qui illustre du reste à quel point le domptage des ouvriers passe par une intrusion dans leur vie privée, leurs convictions, leurs amitiés, etc ;
  • le rôle dévolu aux femmes — rôles de femmes ajoutés, de son propre aveu, par l'auteur et sa scénariste, alors que les ouvrières sont bien absentes du livre — serait plus intéressant si le personnage féminin principal ne s'exprimait pas comme un roman de Malraux, façon Pasionaria, à coup de punchlines définitives et assénées, à moins qu'il ne s'agît de pures resucées de maître Yoda ;
  • "Infiltré, il prépare la révolution" : mettre ÇA sur les affiches pour attirer le chaland, c'est d'une bêtise ! Furieuse envie de toutes les lacérer au couteau à huîtres ;
  • ladite révolution, enfin, cette grève de grande ampleur suscitée chez Citroën, hors syndicats, par une poignée d'activistes : alors là, oui, chapeau ! si tout le film était comme ça ! c'est extrêmement bien fichu, on se sent, enfin, emporté : ça y est, un peu de souffle dans ce fatras mollasson ;
  • Olivier Gourmet. Ben, Olivier Gourmet quoi. Notre Raimu, comme toujours extraordinaire ;
  • l'idée que gnagna, le film fait penser aux luttes d'aujourd'hui, qu'on a raison de se révolter — formule mao —, qu'il n'est pas illégitime d'encore croire aux soirs radieux et aux grands matins. Mais je dis, WTF ??? parallèles neuneus, paresse dérisoire : la France de 68 et la nôtre, cinquante-cinq ans plus tard... tellement rien à voir, ni la classe ouvrière, pour commencer, ni le contexte politique. Enfin bon, quoi, ouvrez donc un livre d'histoire ou sinon prenez votre petite pelle et votre petit seau, et allez faire des petits pavés de sable, tiens ;
  • les réunions de cellule, enfin les discussions de salon entre militants : jamais entendu dire que c'était plutôt enfiévré, voire houleux ? Et non pas comme ici un thé chez la comtesse. Suffit pas qu'ils fument comme des pompiers... ;
  • bon c'est la bouteille à l'encre, je dirais juste ceci pour terminer : les luttes, la camaraderie, ce n'est pas triste et terne. Pas une once de joie dans tout cela, même mauvaise. Comment passer à côté du sujet.
  • Donc, pas un film indigne, mais certainement pas un grand film. Le sujet aurait sûrement mérité davantage de travail, enfin plus de cohérence d'ensemble — et pourtant, le projet a au bas mot trois ans, selon le réalisateur.

    Insuffler à l'ensemble une forme d'enthousiasme, tel que nous en offre la seule scène de grève. Respecter, dans le bon sens, le parcours et le témoignage de Robert Linhart : pourquoi donc maltraiter ce qu'on a sous la main, de si fort ?

    Enfin voilà pourquoi on frôle l'anecdotique. Mollesse du genou et manque de vision.

    Mathieu-Erre
    5
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    le 26 avr. 2023

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    Mathieu Erre

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