Après ces références absolues que furent Baldur's Gate I, en 1998, et Baldur's Gate II : Shadows of Amn, en 2000 — je n'évoquerai pas des suites ou add-on plus ou moins ineptes — vingt-cinq ans, ça passe, pffft... jeux que j’ai adorés, sans cesse recommencés, que ces Baldur's Gate, authentiques gold standard de ce qu'on appelle — à tort — role playing games : le vrai RPG, c'est pen and paper. Crayon, papier et dés autour d'une table.
Baldur's Gate III repousse à son tour les barrières du genre, en termes de gameplay, de scénario, d'aventure épique, de richesse de l'open world ; de nuits blanches à se frayer un chemin entre gnolls et illithids, drows et bêtes gobelins de base, par exemple ; de fidélité aux règles de Dungeons & Dragons...
Le propos, la promesse comme on dit aujourd'hui de Baldur's Gate III n'est rien moins que de sublimer l'héritage de ses glorieux prédécesseurs.
Larian, ce studio à l'origine de Divinity : Original Sin, en 2015, et Divinity : Original Sin II, en 2018, récupère la licence Baldur's Gate auparavant chez Bioware et se lance dans un développement au long cours de ce Baldur's Gate III, qui sera si vaste et si riche qu'un early access, jouable depuis l'automne 2020, fera office de beta test géant d'un jeu dont la sortie finale sera annoncée pour août 2023, ENFIN.
Je parlerai essentiellement ici de cette version beta.
Près de trois d'attente pour un jeu qui s'annonce immense et immersif, tant sur PC que sur Mac, que sur console.
(Un mot là-dessus : je joue sur Mac, je ne peux pas parler du reste. Si BGIII tourne très correctement sur un MacBook Air — et j'imagine, sur Mac mini —, le lag devient rédhibitoire dans les scènes où un grand nombre de personnages interagissent en même temps, à commencer par l'Underdark, ou Outreterre, le monde souterrain des drows : ici, la 3D des décors met la machine à genoux, le ralentissement est permanent ; il faudra viser un cran au-dessus, un MacBook Pro ou un iMac, sans doute, pour répondre aux exigences du jeu, avec effets de caméra et de zoom, graphismes détaillés, décors très travaillés, et combats, parfois, où l'IA devra gérer avec finesse, et sans lag, parfois plus d'une vingtaine d'adversaires. Fin de la parenthèse.)
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Un mot du scénario.
Votre personnage a été enlevé par des flagelleurs mentaux, ou illithids, et emmené à bord d'un vaisseau mystérieux qui finit par s'écraser. Puis vous rencontrez au fur et à mesure des PNJ atteints de la même malédiction : des larves introduites dans leur corps, en passant par leur œil — ce qui est assez dégueulasse, quand on y pense —, et qui sont censées faire d'eux des Illithids. Or la céramorphose se produit pas dans le bref délai envisagé ; au contraire, les porteurs de larves se retrouvent nantis d'étranges pouvoirs télépathiques, à l'instar des flagelleurs mentaux, muets, mais dotés de capacités psioniques très étendues.
Progressivement, un groupe se forme. Voici la composition que je retiens, en raison de classes de personnages tout à fait complémentaires :
Laez'el, la guerrière githyanki aux idées bien arrêtées, animée par un substantiel sentiment de supériorité, passablement raciste, et combattante impitoyable : au vu de sa personnalité elle est probablement être loyale mauvaise ;Shadowheart — logiquement Ombrecœur en VF, cléresse demi-elfe, neutre mauvaise, est une disciple de Shar, déesse bien malveillante, bien qu'elle s'efforce de le cacher d'abord ;Astarion, un roublard elfe aussi nécessaire pour passer une série d'obstacles, coffre ou porte fermés, pièges à désamorcer, qu'efficace lors des combats, où il s'avère redoutable et de plus en plus létal, au fil des montées de niveaux. Très certainement d'alignement mauvais, lui aussi.SPOIL, Astarion est un vampire (comme Régis dans The Witcher de Sapkowski, mais bien plus maléfique) : ça et une larve dans le corps, c'est beaucoup pour un seul elfe.
Passons sur les autres compagnons, Wyll, Gale, puis Halsin, Karlach...
Avec les compagnons, la possibilité de romances, hétéro ou pas, rejoint une tendance largement présente sur le marché. Vos décisions, dans les actes et dans les dialogues, pourront les séduire à mesure, ou les monter contre vous.
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Un mot maintenant de vous, le personnage principal. Vous pouvez retenir la classe de votre choix. Sachez que si vous le souhaitez, vous pourrez changer ce choix initial. Y compris pour les compagnons ci-dessus cités.
Pour ma part j'ai joué le barde, le barbare, le druide, le moine, le paladin (halfelin dans mon cas), lorsque ces classes ont été introduites dans l'early access. Chacune de ces classes a ses propres talents, et ses propres limites.
Je n'ai pas choisi de personnage entièrement mauvais, parce qu'un grand nombre de quêtes secondaires doit vous filer sous le nez, ou se solder bêtement par des combats.
Pour ce qui est de la création du personnage, quelques infos :
- entre les diverses caractéristiques, un système de répartition de points prédéterminés — et non issus d'un tirage — ne vous empêche pas de faire, selon votre goût, vos propres choix : créer un personnage équilibré, ou outrancièrement boosté côté caractéristiques de classe, avec force et constitution élevées pour un guerrier, par exemple, ou force et charisme pour un paladin, etc. En fonction de la race choisie, vous pouvez atteindre des scores de caractéristiques supérieurs (bonus de constitution pour un Nain, de dextérité pour un Elfe)...
- la classe et la race du personnage principal donnent accès à des options de dialogues spécifiques ;
- comme d'ordinaire dans DnD, votre classe permet l'usage de telles ou telles armes ou armures. Votre force déterminera votre encombrement maximal ; bon, les compagnons peuvent également porter pas mal d'équipement et de trésors. Par un choix discutable, l'or ne pèse pas très lourd — ce qui, dans la réalité, serait tout à fait invraisemblable ;
- vous devez créer aussi un mystérieux personnage secondaire, qui vous rendra des visites nocturnes mais chut, je ne dis rien ;
- lors de cette étape de création, garder en tête que tout à fait conformément aux règles de DnD, tous les cinq niveaux, vous aurez un point de caractéristique supplémentaire à dépenser, et qu'au bout de trois niveaux, dans la majeure partie des classes vous choisirez un archétype, comme la magie de la paume pour un moine, l'assassin pour un roublard, etc. ;
- après ce tour d'horizon déjà étoffé, des règles les plus basiques, retenons que vos personnages disposent de compétences, basées sur les points de caractéristiques, de capacités, de talents, de dons... tous liés à la classe retenue, mais pour certaines, via la race choisie... de sorts... d'aptitudes de classes qui ressemblent à des sorts...
Bref, au bout d'un certain temps et de niveaux (dans la version finale, le level cap est fixé à 12)vos personnages auront des aptitudes à profusion qui requerront de votre part une mémoire et une connaissance assez vaste des mécanisme du jeu, pour réussir à en faire quelque chose, sans en négliger la majeure partie.
(Dans le même ordre d'idées, cet autre contrepoint de la richesse du jeu : le temps interminable dévolu à la gestion de l’équipement, entre loot, objets de quête, carottes pourries, et autres armes et armures à répartir entre ses différents…)
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Un mot des moyens démentiels mis en œuvre par Larian pour rendre le jeu "réaliste" : les acteurs côté voix sont aussi saisis en motion capture, ce qu'on voit dans les cinématiques et dans l'expérience du jeu en général repose donc sur le même principe que les CGI d'un film. Photo du cast sur X.
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Revenons à l'intrigue. Si les combats sont fréquents, DnD oblige, ils ne sont absolument pas la seule façon de progresser dans l'histoire.
Pour les différents PNJ, une quête spécifique vous mènera à faire face au vampire qui domine Astarion, à permettre à Gale de survivre à un destin très tortueux, etc. Les quêtes des compagnons se poursuivent jusqu'à la fin du jeu.
D'autres quêtes secondaires vous seront confiées par des PNJ. Avec un tropisme très net pour un voyage à Baldur's Gate : indisponible en beta, la visite de la cité sera en fin de compte un des points culminants du jeu, qui justifie que soit repris un titre jusqu'ici lié au seul premier opus de la série.
Mais la quête principale consiste bien sûr, en arpentant les Forgotten Realms à chercher, en surface ou dans les profondeurs de l'Underdark, le moyen de vous débarrasser de l'infestation par ces vers — quant au sort qui vous est promis... je n'en dirai pas plus, mais c'est bien plus inattendu dans le scénario qu'une transformation en monstre à tentacule.
Ayant déjà été bien long, je m'achemine à présent vers ma conclusion — provisoire, qui fait fond sur ce que l'on sait à l'issue de la longue beta :
- il est indéniable que Baldur's Gate III, bien plus ample et plus long que ses aînés du tournant du siècle, est un jeu extrêmement ambitieux ;
- son ambiance assez sombre le distingue très clairement de la série des Divinity, plus légers et ludiques, en raison d'un ton nettement plus sérieux, parfois même quelque peu sinistre ;
- un potentiel de rejouabilité énorme ;
- l'attachement qui se produit tout de suite envers le jeu, envers chaque personnage, dont le vôtre en toute logique, qui vous conduira à y passer des heures et des heures ;
- enfin, ce n'est pas sans émotion que j'accueille la grande fidélité à cet univers des Forgotten Realms, fruit de plusieurs décennies de DnD.
Le terme chef-d'œuvre est sans doute galvaudé, dans bon nombre de cas ; la sortie de la final release de Baldur's Gate III, nous dira s'il s'applique ici avec certitude.
Mais j'ai déjà ma petite idée.
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Le final release est là. Que dire ?
De nouveaux personnages pour votre groupe, avec chacun son propre arc narratif.
Des romances plus faciles dirait-on à débloquer.
De nouvelles maps, rapidement accessibles, mais ce n'est qu'une fois qu'on atteint Baldur’s Gate, d’une ampleur et d'une profondeur inédites pour un jeu de ce type, qu'on entre dans la démesure.
Le multiclassage, pour votre personnage, pour remplacer Ombrecœur ou Astarion, à moins que vous ne les multiclassiez, eux : c'est possible aussi.
Sur le reste, soit la suite de l'intrigue, autant être discret, mais soyons clairs : lorsque vous arrivez à l'acte III, elle se complexifie soudain dans tous les sens, et le développement croisé des arcs narratifs peut donner le vertige ; de surcroît, le jeu devient extrêmement bavard, il y a beaucoup à assimiler.
Sans doute bien d’autres découvertes que je n’ai pas encore faites mais en tout état de cause, un déluge de contenus supplémentaires, tout aussi intéressants que ce qu’on a pu expérimenter depuis la première mise à disposition du jeu au public, mais plus diversifiés.
On a là pour moi largement de quoi justifier le 10 de cette critique.
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La dimension "DnD en live sur ton ordinateur", de l'open world excitant et créatif, a pour contrepartie la complexification liée précisément au foisonnement de règles dans DnD, dont j'ai déjà dit mot. Certains défauts sont peut-être transitoires, il y aura peut-être quelques améliorations dans des hotfixes à venir, mais lors du lancement de cette version finale, quelques bugs parfois vraiment gênants persistent.
(Larian ne se prive pas de modifier certains éléments de l'histoire dans ses patches... tout cela reste quelque peu instable tout de même, même si dans les grandes lignes, ça reste la même chose.)
Personnellement, ayant repris une partie (non, deux) depuis le début, je ne suis pas encore à la fin du jeu au bout de plus de 80 heures... un conseil : sauvegardez le plus possible, pour vous faire une idée de la meilleure façon de découvrir toutes les possibilités ouvertes par la scène en cours.
Personnellement, lors de ma découverte des actes II et et III, j'ai d'abord été assez déconcerté, voire déçu. En réalité on entre peut-être dans une dimension plus roleplay, moins hack n'slash, et ce changement de nature progressif du jeu requiert de s'adapter.
Chacun se fera son idée de ce que contiennent les actes II et III. La mienne est plus favorable qu'à première vue, sur les contenus qui ont rendu ce jeu, enfin, complet.
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Un mot sur la partie qui se déroule dans Baldur’s Gate : énormément de clins d’œil pas trop fan service au premier jeu de la série. C’est bien mené et assez amusant en général. Ça fait aussi vibrer notre corde nostalgique, pour ceux qui ont joué à l’époque à ce jeu fantastique (ou récemment : il est même disponible sur iOS, c’est dire si les iPhone sont plus puissants que les ordinateurs haut de gamme d’il y a vingt ans).
Mais il suffit de comparer les maps de la cité pour voir à quel point le terrain de jeu est désormais IMMENSE.
À en avoir le tournis, presque. À l’image de la richesse globale du jeu, dans un ultime et dingue condensé des vastes explorations qui émaillent l’action. J’erre encore sans être venu à bout de celle-ci. À se demander s’il y en a un, réellement, de bout, ou si la loi du jeu n’est pas d’être infini.