Il est difficile de comprendre pourquoi ce film a fait un tel carton en Italie. Un carton historique, même, battant tous les records d'entrée : un phénomène de société, dirait un journaliste.
De notre point de vue franco-français, c'est un récit plutôt bien troussé sur le statut des femmes italiennes au sortir de la Seconde Guerre mondiale, vu à travers le destin de Delia (diminutif de Fidelia ?).
Delia est l'héroïne d'une espèce de conte, qui nous la présente bûchant, bûchant dur pour sa famille, composée de trois enfants — deux garçons idiots et grossiers, une grande et belle jeune fille — et d'un mari... ah, le mari... un acteur qui réussit à tenir un tel rôle mérite l'admiration (tout comme l'actrice qui incarne Delia, du reste).
Cet Ivano est un tyran domestique, allégorie du père de droit divin, dont la femme n'a pas intérêt à moufter — et même, à exister — si elle ne veut pas se prendre une taloche.
Delia s'accommode en apparence de cette triste existence, elle aime sa famille, et si le divorce n'est absolument pas envisageable, ni même mentionné dans le film, c'est qu'il n'existera en droit italien qu'en... 1970.
En conséquence, il y a un avant et un après mariage — sacrement indissoluble, dans une société où le catholicisme demeure omniprésent —, qui consiste pour la femme, une fois la bague au doigt, à accepter son sort, fût-il frappé d'injustice.
Évidemment, mettre en scène une telle histoire aujourd'hui, même si l'on réalise un film en noir en blanc — lequel n'a, au passage, pas nui à son succès —, revient à dénoncer ce fameux patriarcat qui révolte nos féministes.
Féministes dont la fille de Delia, Marcella, qui reproche à sa mère de ne pas se révolter, serait une timide précurseure.
Père tout-puissant, sans égard pour la mamma : plutôt qu'une déconstruction/ dénonciation de ce rapport de force, le film nous livre simplement un portrait de femme qui, faute de pouvoir s'émanciper — à part, symboliquement, dans la scène finale —, n'en est pas moins une sorte d'héroïne du quotidien ; qui, faute de pouvoir se rebeller, conserve une forme de quant-à-soi, d'aspiration à la liberté ; qui, dans un monde inégalitaire, vit dans une forme de sororité avec son amie Marisa.
C'est cette liberté désirée qui confère au film de Paola Cortellesi (également actrice principale) une forme d'allégresse, et nous fait éprouver de la tendresse pour sa protagoniste, ainsi que pour sa fille qui représente en somme la promesse d'un potentiel avenir meilleur.
Au total, pas un excellent film, on n'a pas affaire à Nanni Moretti ou Marco Bellocchio, mais une fable — una favola, si je veux me la péter en italien — sur le statut de la femme, qui se refuse à montrer à l'écran toute véritable violence (les scènes de violence domestique sont délibérément mises en scène sous forme de danse entre époux), préférant livrer, non sans une dose d'humour, un message d'espoir pour aujourd'hui.
Car ce titre, C'è ancora domani, Il reste encore demain, est profondément symbolique : c'est notre époque, ce "demain" d'hier. Et les droits des femmes — qui laissent toujours à désirer en Italie, par rapport à la France, du fait de cet héritage patriarcal — constituent encore une cause à défendre de nos jours, ce à quoi contribue ce film qui fera dialoguer plusieurs générations d'Italiennes.