Masao a le moral dans les chaussettes. Les grandes vacances commencent et ses copains désertent la ville où il a grandi. Tandis que le club de foot local, bien sûr, ferme ses portes. L'enfant est seul sur ce terrain terreux, dont la pelouse semble s'être fait la malle depuis belle lurette. Le plan aérien isole un peu plus encore Masao.
Masao ne connait pas sa mère. Il se lance alors à sa rencontre dans un road movie à contretemps, nonchalant, en compagnie et sous l'oeil de la caméra de Takeshi Kitano.
On se demande bien qui, au fond, est l'enfant de cet été de Kikujiro, tant l'accompagnateur taciturne de Masao se montre dans un premier temps immature, désinvolte et égoïste. Prétexte à une évolution commune dans un monde balançant entre magie et réalité parfois cruelle, où l'enfance dont on exécute le portrait doux-amer porte en elle les germes d'une sensibilité à laquelle le spectateur ne pourra pas rester hermétique.
Masao, c'est l'enfance de Kikujiro, tous les deux privés de l'amour maternel. Le petit ne parle que très peu, souvent la tête basse avant de s'ouvrir aux facéties et aux grosses bêtises d'un adulte d'abord maladroit et inconséquent. Avant que la tristesse ne trouve écho en lui et de se révéler attachant, attentionné, protecteur.
L'Eté de Kikujiro est dès lors bien plus le récit de l'évolution sentimentale de l'adulte que celui des grandes vacances atypiques du gamin dont il a la charge. Sans jamais rien expliquer, Kitano en dit beaucoup tout en se passant de mots, en se reposant sur le burlesque de certaines situations pour nous faire comprendre que Kikujiro, lui aussi, a grandi sans l'amour de ses parents, et que ce qu'il a appris, il l'a appris lui même. Et on découvre que, malgré son âge, l'ancien yakuza ne sait pas conduire, ne sait pas nager, n'a finalement rien fait de sa vie. La douleur de Masao, en creux, semble identique à la sienne. De personnage immature, escroc et parfois détestable, l'adulte endosse le rôle d'un véritable père de substitution qui, tout maladroit puisse-t-il être dans l'expression de ses sentiments, n'en devient pas moins un véritable personnage sincère et touchant. Empruntant même sa dualité au physique de Takeshi Kitano, offrant la paralysie partielle de son visage pour la mettre en valeur.
L'Eté de Kikujiro, terrain de jeu d'une simplicité biblique dans son scénario, s'envisage comme un véritable album photo, où chaque page racontera une tranche de vie, une anecdote ou une historiette au carrefour d'une drôlerie toute japonaise mais universelle, d'une tristesse désarmante et d'une galerie de personnages atypiques qui, eux aussi, ne semblent avoir jamais grandi totalement et se dessinent comme protagonistes de rencontres dans une campagne japonaise mises en scène comme hors du temps, facétieuses et empreintes d'une tendresse délicate.
Mais la réussite totale de L'Eté de Kikujiro ne serait pas la même sans la musique incroyablement simple et intime de Joe Hisaishi, habituel compagnon de route du studio Ghibli. Sans ces quelques notes de piano portant l'insouciance la plus complice, l'émotion la plus pure, la tristesse et la mélancolie les plus entières, L'Eté de Kikujiro, et son voyage le long d'une route toute japonaise, ne seraient pas aussi beaux, aussi forts, aussi sincères et émouvants.
L'Eté de Kikujiro, c'est aussi celui de Joe et de Takeshi Kitano.
Behind_the_Mask... ♫ Et l'emmener vers demain... ♪