Il y a comme ça des films qu’on ne soupçonne pas, des chefs-d’œuvre dont on se dit que s’ils étaient à ce point exceptionnels on en aurait depuis longtemps entendu parler. Il y a certes une belle et prestigieuse distribution, mais derrière la caméra se tient un illustre inconnu. Le scénario semble intéressant mais très convenu, le western ayant depuis longtemps déjà traité le thème de la chasse à l’homme.
Pourtant The Ox-Bow Incident est un authentique chef-d’œuvre, qui tient autant au talent de son metteur en scène qu’à son scénario, ses acteurs et à quelque chose d’indéfinissable qui le traverse et le rend fascinant. Peut-être s’agit-il d’une étonnante modernité pour un western crépusculaire qui ne dirait pas son nom, peut-être s’agit-il de cette fatalité, de ce destin qui semble dirigé le film et tenir la caméra en lieu et place de William Wellman.
La première scène donne le sentiment immédiat que ce western se démarque des grands classiques de l’époque. Au saloon, Henry Fonda se morfond devant une peinture de la femme qu’il aime. Il est de passage en ville et forcément, il est traité en étranger. Un homme entre en courant et apprend aux clients qu’un des notables de la ville vient d’être assassiné. La plupart des hommes décide alors de se mettre en chasse, au mépris de toute notion de justice ou de travail d’enquête. Ni le juge, ni l’homme d’église ne réussiront à les dissuader de partir assouvir leur vengeance. Ils rattraperont ceux qu’ils déclarent coupable de meurtre et de vol de bétail.
C’est à ce moment que débute le huis-clos en plein air, une trentaine de cow-boys assoiffés de vengeance face à trois autres qui clament leur innocence sans parvenir à la prouver. La tension dramatique est palpable tout au long de cette grande et magnifique séquence. Les principes moraux et religieux s’opposent à la loi du talion. La justice personnelle s’oppose à celle de l’état fédéral, les personnalités, les caractères s’effacent devant l’effet d’entrainement du groupe. Au fond peu importe de détenir les coupables du moment qu’on trouve quelqu’un à pendre.
Les acteurs sont magnifiques de sincérité, Henry Fonda en tête. Bien que le noir et blanc nous prive de ses yeux bleus, il garde cette fragilité, ces sentiments à fleur de peau qu’il parvient si bien à exprimer par l’intensité d’un regard qui peu émouvoir à lui seul. Anthony Quinn transpire la dignité et la fierté d’un homme condamné et bien décidé à ne pas courber l’échine, cet acteur avait un charisme stupéfiant trempé dans la force des émotions. On sent derrière un regard dur tout le combat des émotions d’un homme condamné sans savoir pourquoi. Le plus émouvant, celui qui donne envie de pleurer et Dana Andrews, homme qu’on sent innocent et qui voit, impuissant, son monde s’écrouler. Il est celui qui a le plus à perdre mais qui garde jusqu’au bout à l’esprit ses principes moraux.
The Ox-Bow Incident tort les tripes, les passe en essorage à huit-cents tours minute. On garde pendant une moitié cette boule dans le ventre, cette autre dans la gorge avec l’envie de hurler : « Mais qu’est-ce qu’il fout ce deus ex machina ?! Ils vont les tuer ! » On a peur pour eux, honte pour les autres, cow-boys ne connaissant que la loi de l’ouest sauvage, éloignée de toute notion de civilisation. Le tout donne ce chef-d’œuvre inconnu et incroyable, sorte de film philosophique sur la justice, le droit et la vengeance. On passe de la peur à une colère sourde pour finir sur une immense tristesse qui tire les larmes (authentique !). A voir absolument ? Absolument !