Bien que ce n'est pas mon premier long-métrage de Mikio Naruse, figure reconnue trop tardivement en Occident, mon exploration de son boulot est encore fort parcellaire. Habitué à ses histoires légères et profondément mélancoliques, "L'Etranger à l'intérieur d'une femme" marque une belle rupture avec ce que j'ai vu de lui. Il faut dire aussi que le paysage nippon était en proie aux bouleversements vu que les figures émérites de jadis (parmi lesquelles Kurosawa et Ozu) n'attiraient plus autant les foules. C'est d'ailleurs de là, ou tout du moins en partie, qu'émergea la Nouvelle Vague japonaise. Les amateurs de ce courant décèleront des influences marquées, preuve que Naruse n'était pas hermétique à l'évolution des techniques cinématographiques et au style des nouveaux cinéastes. Les notes crépusculaires ne sont pas sans rappeler celles de Masahiro Shinoda dans ses pépites "Fleur Pâle" et "La Fin d'une douce nuit".


Il y est ici question de la culpabilité face à l'irréparable. La vie de deux amis à jamais marquée par le meurtre de la femme de l'un par l'autre avec qui il entretenait une liaison malsaine, guère éloignée d'une forme psychologique de sado-masochisme (la fascination de Sayuri pour l'étranglement). Un fait divers qui sera le commencement de la déshérence de l'acteur et de sa complice, en l'occurrence la femme de Tashiro qui refuse de voir sa vie s'effondrer car son mari a tué. Dénué de toute intrigue policière, le récit s'ancre dans le drame psychologique pur. Tashiro est en proie au conflit interne, trouvant insupportable le silence dans lequel il s'est engouffré. Il sait qu'il est mentalement condamné s'il garde ce secret trop longtemps. Sa lâcheté de jadis laisse alors la place à un homme meurtri, qui se sait être indéfendable et est de plus en plus près à assumer ses actes. Son avancée existentielle suscite en nous un certain attachement à son égard. La notion de pardon résonnant en nous avec une force peu commune.


A contrario, la véritable lâche dans l'histoire est bien sa femme. Elle tient à enfouir l'intolérable pour éviter que son quotidien vacille. Son regard se porte sur celui des enfants. Une dévotion qui sonne faux et réduit à néant le concept de justice et de civilisation. Bête et têtue, elle harcèle constamment Tashiro pour qu'il se taise, le suppliant de toutes ses forces sans se mettre à sa place. Le crime odieux commis laisse la place à un jeu d'influences pervers pour détruire la balance rédemption/résignation sur laquelle se trouve Tashiro. Dans l'absolu, le déséquilibre doit être fait en faveur de la rédemption mais pour sa femme, ça sera évidemment l'inverse.


Toute la force du scénario tient dans ce cas de conscience avec une mise en scène toujours sobre, loin des fulgurances théâtrales du jeu d'acteur. Néanmoins, on pourra tirer la moue devant une prévisibilité qui laisse alors peu de place à la surprise, si ce n'est la toute fin particulièrement nihiliste et marquante. La boucle est ainsi bouclée. Une incursion on ne peut plus satisfaisante de Naruse dans le film noir.

MisterLynch
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le 8 juil. 2022

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