Vendeurs de rêves, rendormez-vous - PERMABULLSHIT !

En liminaire, je tiens à préciser que je suis totalement séduit par les promesses de la permaculture et, in extenso, du (des ?) mouvement(s) autonomiste(s). Il s'agit pour moi de la seule solution viable pour pérenniser l'humanité sur Terre, rendre la liberté aux individus (aussi dure soit-elle à assumer - je fais référence la Nature), rompre avec les dépendances. Je ne remets pas en question ses fondamentaux et reconnais ses intérêts sur une base scientifique. Néanmoins, il m'importe de voir un peu au-delà de ces acquis. Toute thèse a son antithèse, et le reportage alimente cette dernière.


La permaculture, en théorie, c'est l'art de cultiver durablement. Ni plus, ni moins.

La permaculture, aujourd'hui, ou permabullshit, c'est surtout des : podcast sur youtube, reportages, livres, formations, stages (payants, bien entendu). C'est pousser l'opportunisme de la détresse des citadins overdosés par le béton jusqu'à un stade vomitif. C'est sucer le pognon du bobo-parigot ; lui proposer du "woofing" et autre "couch-surfing" pour rafistoler le poulailler. Lui faire louer une roulotte faite en récup' ou une hutte en torchis (au noir si possible) au prix d'un Rbnb. Et, tant qu'on y est, proposer des "cagnottes participatives" pour "financer un projet" (i.e., prendre le pognon pour se fournir chez Casto dans le but de rénover une propriété privée). Loin de moi de prendre pitié du parigot pour son essence (quoique), c'est surtout l'hypocrisie démonstrative des permabullshitteurs qui m'anime.


Au paroxysme de l'ironie, la permabullshit se réapproprie les codes capitalistes. Le reportage ne rougit pas de titrer les interviewés de "consultant en permaculture". Consultant en permaculture..., je me permets de le réécrire ; si ce n'est grotesque, c'est au moins cocasse de constater qu'une formule aussi oxymorique passe inaperçue chez les aficionados de l'altermondialisme. Dois-je appuyer en évoquant les bureaux d'études, les sites de réservation, le développement de l'agritourisme..., tout l'(auto-)entreprenariat opportuniste, ou quand les tours-opérateurs se mettent au vert de nos campagnes ?


Aussi, on ne peut pas, échapper au questionnement quant à la consanguinité sociale ou dérives sectaires que favorisent de tels mouvements. Encore et toujours cet argument éculé, je sais. Mais il a toute sa place : la permabullshit n'hésite pas à prétendre jusqu'à la définition d'une spiritualité, d'un repositionnement de l'humain au sein de la nature, formuler une posture existentielle... Et mon cul c'est du poulet ?


Ainsi, c'est malheureusement un véritable entre-soi morose qui se créé, ou se répète ; la pseudo-science va fédérer bobos parigots, citadins burn-outés, néo-ruraux, et autres dreadlocks blancs autour de croyances. A partir de là, c'est la porte ouverte à tous les excès hors-champs de la permaculture - excès de confiance et biais cognitifs - amenant du terreau à la métaphysique, à l'ésotérisme, et à toutes les opinions imaginables. Tout le charabia esthétique, le récit - pour ne pas dire le story telling - viendra naïvement occulter certains aspects pragmatiques de la réalité biologique (humaine et agronomique), à commencer par ce que l'Histoire révèle en nombre de famines et d'épidémies que l'humanité a enduré en 10 000 ans (quelle idiote à avoir labouré ses champs et minimisé les bienfaits des huiles essentielles, c'est si simple pourtant !), faisant miroiter dans l'imaginaire une vie rurale aux aspérités bien plus ludiques qu'elles ne le sont réellement (encore faut-il trouver les authentiques paysans pour le démontrer, autre espèce en voie de disparition...).


Finalement, peu des "permafans" passeront à l'action. Concrètement, ils se contenteront d'assouvir le sentiment d'appartenance à un groupe, à gauche, mêlant ex-centristes, anar' et NPA en quête de verdure. En pratique, la permabullshit a pour seule promesse de recréer des échantillons spasmodiques de ce qu'a pu être la culture hippie des années 60. En somme, pas de grande nouveauté, et encore moins de révolution. Mais des risques. Des risques de sous-estimer les courroux naturels précités et de balayer d'un revers les connaissances scientifiques, parce que ça doit être simple et user friendly. Et, en creusant dans le milieu, on retrouvera tout ce qui fait la médiocrité de l'humain : les querelles de clocher, le qui sait quoi, le contrarianisme, le conspirationnisme, la technophobie de principe, le libertarianisme primitiviste.


Ce sur quoi j'insiste, c'est la fausse promesse. L'illusion d'une solution parfaite qui met sur le banc de touche d'abord les précaires (e.g., quid des handicaps lourds ?), et sans proposer de solution réellement inclusive à leur égard. Quid du caractère communautaire et coupé du reste monde ? Ceux qui ont la thune et le savoir -les bobos- se sauveront dans un champs à cultiver des choux kale et topinambours ; grand bien leur fasse à eux et leurs adorables voisins avec qui ils feront du troc désintéressé (l'humain est par essence un bon commerçant, altruiste et bienveillant, c'est connu), mais quid des moldus enfermés dans des HLM et autres prolo' condamnés aux 3-8 ? On les laisse crever par 45°, tant pis pour eux, il fallait faire les stages et lire Fukuoka ? Faut-il abandonner la société pour privilégier la communauté ? Même si je me suis formulé quelques arguments sur les différents éléments antithétiques évoqués, force est de constater qu'il faut se les construire soi-même ; les reportages en pagaille se limitent à une approche systématiquement édulcorée et rose bonbon. Pour ne pas dire, vendeuse.


La permaculture sans nuance, cela me gêne atrocement.

SirdeWibengrad
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le 12 juil. 2024

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