L'exercice de l'état entre dans la catégorie des œuvres qui nous font mieux comprendre le monde dans le quel nous vivons. Ou si ce n'est mieux, en tout cas différemment.
C'est vrai, elle n'utilise pas pour ça l'allégorie, la satire, ou tout autre figure de style souvent utilisée par les grands cinéastes. C'est plutôt direct, frontal, abrupt. Pour autant, ce qui est de l'ordre de l'artistique n'est absolument pas négligé: l'interprétation est superbe et les idées de réalisation ne manquent pas. La scène onirique inaugurale est inoubliable en plus de comporter un aspect graphique somptueux. La scène de l'accident est elle aussi plutôt mémorable.
Pour en revenir au contenu, deux idées fortes éclaboussent le film d'une grande classe.
La première, assez convenue (montrer un animal politique de l'intérieur) est magistralement écrite.
A tel point qu'on peut presque comparer cet exercice à la série "the west wing", ce qui n'est pas un mince compliment chez moi. Le résultat de cette étude quasi-clinique est confondant. Une nouvelle fois, on se perd en conjectures: comment quelqu'un qui nous ressemble tant peut-il aussi être si diamétralement différent ? En s'approchant au plus près de son sujet, Pierre Schöeller rend son ministre proche et totalement étrange quand à sa façon de vivre. Comment peut-on avoir envie de se lever à 4 heures du matin pour se faire héliporter sur le lieu d'un drame et être confronté à la mort, aux familles éplorées, avant de rentrer sur Paris pour se frotter à un animateur hargneux sur une radio de grande écoute ? Qui pourrait avoir envie de ça ?
La deuxième, plus singulière, fait la force du récit. Elle permet de répondre à la question posée un peu plus haut. Très rapidement, le ministre se confronte à son reflet dans la glace et marmonne un mantra qui constitue la colonne vertébrale de son action. Bertrand de Saint-Jean se considère comme un tigre affamé seul face à tous. C'est ce crédo qui guide son action, sa vie. Et c'est en ce seul sens que cette trajectoire se conçoit
Cela explique les relations de travail basée sur des seuls rapports de force.
Vis-à-vis de ses supérieurs (on exécute les ordres quitte à renier ses plus intimes convictions), vis-à-vis des collègues (lutte classique pour obtenir le leadership), vis-à-vis des subalternes (dont on peut, quelque soient les liens qui vous lient à eux, et quelque soit le niveau d'exigence que vous demandez, se séparer en une fraction de seconde) et vis-à-vis de tous les autres (femme-ombre floue, amis inexistants... "4000 contacts et aucun ami !")
Le pouvoir, quelque soit la forme, garde ses codes. En entreprise, dans l'armée et au gouvernement, les supérieurs sont appelés par des diminutifs attachés à leur fonction. Entendre le premier ministre (le PM) parler du président de la république sous le vocable de "PR", se confondant habilement avec la figure du père, est délectable.
En évitant tous les pièges habituels inhérents à ce genre de production, en contournant tous les clichés, en collant à son sujet avec rigueur et en évitant tout manichéisme, Pierre Schöller réalise un grand film. Une prouesse.