L'intelligence se mesure parfois à la quantité d'incertitudes qu'un esprit peut supporter.
L'Europe des Requins
"L'Héritier" réalisé et écrit par Philippe Labro, en collaboration avec Jacques Lanzmann, est un thriller redoutable qui nous plonge dans les intrications du pouvoir. Un récit captivant dans lequel nous suivons les pas de Barthélémy Cordell, incarné par Jean-Paul Belmondo, qui vient d'hériter d'un colossal empire industriel consacré à la métallurgie et à la presse, le hissant au rang de "vingtième plus grande fortune européenne" à la suite du décès tragique de son père, Hugo Cordell, dans le crash de son avion. Rapidement, l'histoire prend une tournure inattendue lorsque Cordell découvre que la mort de son père n'est pas accidentelle, mais plutôt un meurtre, le catapultant au cœur d'un vaste complot. Il va mener une investigation captivante qui va nous entraîner dans les moments les plus sombres de l'histoire avec la déportation des Juifs. Une œuvre intelligente qui va simultanément dépeindre les responsabilités d'un homme contraint d'assumer son héritage, jonglant avec les contraintes salariales, les dynamiques entre les directions patronales et les employés, tout en étant contraint d'assumer les directives d'une des plus grandes presses françaises, générant une attente considérable de la part du pouvoir politique. En clair, nous sommes plongés dans les méandres de la manipulation.
Un conflit de pouvoirs et d'espionnage qui se développe autour d'un empire industriel et financier dont hérite le personnage principal, le plongeant dans une situation rappelant inévitablement le célèbre héros de bande dessinée "Largo Winch", créé par Jean Van Hamme et Philippe Francq. Le premier tome de cette saga, intitulé "L'Héritier", résonne "fièrement" avec l'œuvre de Philippe Labro, offrant ainsi un "bel hommage" à cette œuvre cinématographique qui s'est avérée fondatrice à plus d'un titre. En réalité, la situation est bien moins respectueuse. Van Hamme n'a jamais reconnu ni avoué avoir pris pour inspiration L'Héritier dans la création de son œuvre, ce qui a déclenché une violente dispute entre le réalisateur et l'auteur, ce dernier l'accusant de plagiat. Pour ceux qui douteraient de l'influence délibérée de L'Héritier sur Largo Winch, il existe une interview pour Crooner Radio où Labro aborde clairement ce sujet, vous pouvez y jeter un œil si cela vous intéresse : « en cliquant ici !!! »
À travers son œuvre, Labro démontre de manière pertinente comment les médias peuvent être habilement manipulés pour servir les intérêts des puissants, exposant les liens complexes entre l'argent, le pouvoir et l'information. La critique sociale sous-jacente à l'intrigue principale se fait subtile, révélant des enjeux financiers obscurs qui va éclairer les connexions entre les élites politiques et les dirigeants économiques. Un catalyseur de réflexion, dévoilant les rouages complexes qui sous-tendent notre société contemporaine. Cette œuvre ne se contente pas d'offrir un simple thriller, elle sert également de miroir révélateur, nous incitant à remettre en question les mécanismes qui régissent le pouvoir et l'influence de notre société. En parallèle, "L'Héritier" se révèle être un thriller à la fois implacable et divertissant, nous plongeant dans une série de rebondissements astucieusement élaborés, dénouant avec habileté le vrai du faux au fil de l'intrigue. Une toile complexe qui nous entraîne dans un jeu captivant de manipulations, où chaque personnage suscite le doute quant à sa loyauté, créant ainsi une tension immersive. Le récit se déploie sans temps mort, porté par des enjeux palpables, des séquences d'action entraînantes et une structure dramatique sans concession, maintenant notre intérêt jusqu'au dénouement final. Une conclusion percutante qui laisse une empreinte indélébile dans notre esprit, marquant le moment où le rideau se lève.
Montrez moi un héros, je vous écrirai une tragédie.
Sur le plan technique, le film de Labro peine un peu à convaincre, notamment en ce qui concerne le montage assuré par Claude Barrois et Nicole Saunier. Ce dernier n'est pas toujours très clair, suscitant par moments une certaine perplexité et complexifiant inutilement certains passages, comme si les monteurs s'étaient égarés entre deux séquences. Cette problématique se fait surtout ressentir au cours de la première moitié du film. Une autre déception réside dans la composition musicale de Michel Colombier, qui se révèle impersonnelle et a du mal à s'aligner avec l'action proposée. Pour un thriller aussi implacable, une musique plus froide et stridente aurait certainement renforcé l'ensemble. Heureusement, la réalisation de Labro parvient à instaurer une atmosphère singulière, peu commune dans bon nombre de films, grâce notamment à la photographie de Jean Penzer associée aux décors de Théobald Meurisse.
Du côté de la distribution, c'est un pur délice ! Jean-Paul Belmondo, incarnant Bart, est tout simplement remarquable, offrant l'une de ses meilleures performances. Belmondo excelle de manière absolue. Sans en faire trop, sans surenchère, il démontre une justesse étonnante, incarnant avec justesse la stature d'un homme austère, ni tout blanc ni tout noir. Il présente un visage complexe, surtout dans ses relations avec les femmes, où elles ne sont pas dépeintes comme des victimes, mais comme des actrices consentantes dans un jeu de pouvoir où elles manœuvrent avec leurs propres armes. Ce qui est remarquable, ce sont les échanges entre Belmondo et les autres personnages, toujours pertinents, piquants, parfois choquants, parfois drôles, parfois touchants, offrant à chaque fois une réflexion profonde et intéressante, mais aussi quelques séquences cultes, comme lors des échanges de gifles entre Belmondo et Gravina. Carla Gravina incarne Liza de Rocquencourt de manière charismatique, dépeignant une femme énigmatique qui, à un moment donné, m'a fait penser que sa fille (dans le film) était en réalité celle du père du personnage de Belmondo.
Jean Rochefort, fidèle à lui-même, livre une performance excellente dans le rôle du Nonce, un personnage taillé sur mesure pour lui. Charles Denner, dans le rôle de David Loweinstein, est tout aussi captivant. Sa relation tout au long du film avec Belmondo est incontestablement la plus marquante, offrant des séquences mémorables. Leur aventure avec les fameuses pierres maya placées sous leur oreiller, probablement pour améliorer le sommeil, m'a particulièrement plu, un détail astucieux s'ajoutant à d'autres subtilités telles que les deux livres lus par différents personnages, dont les titres offrent une métaphore intéressante par rapport à l'ensemble de l'œuvre. Maureen Kerwin incarne avec brio le rôle de Lauren Corey, la call-girl, offrant une interprétation convaincante de la femme fatale. Enfin, Pierre Grasset dans le rôle de Pierre Delmas dégage une certaine coolitude, et Maurice Garrel en détective privé à su piquer ma curiosité.
CONCLUSION :
"L'Héritier" de Philippe Labro mérite des éloges pour sa réflexion approfondie sur la complexité du pouvoir, de l'information et de l'héritage. Il s'agit d'une exploration impitoyable des rouages de la presse, de l'industrie et de la politique à travers un complot habilement orchestré, combinant le suspense, une intrigue solidement tissée et une richesse thématique pour offrir un bijou du cinéma français. Cette expérience cinématographique immersive est portée par des acteurs au sommet de leur art, avec Jean-Paul Belmondo en tête, et aboutit à un dénouement percutant, laissant une empreinte mémorable dans notre esprit. S'il n'y avait pas eu les quelques imperfections techniques, le film aurait pu prétendre au statut de chef-d'œuvre du genre. Néanmoins, il se distingue tout de même comme un élément marquant de notre paysage cinématographique.
Un incontournable !
J’emmerde la régie finale !