L'héritière qui rêvait d'être aimée
Catherine Sloper a beau être riche, c'est une pauvre fille. Pas franchement jolie, timide et plutôt nunuche, elle n'a pas de succès auprès des hommes. Pourtant, elle est assurée d'avoir une belle rente jusqu'à la fin de ses jours, mais rien n'y fait, elle semble condamnée à finir vieille fille. Décidée à forcer le destin, sa tante Lavinia joue les marieuses et la pousse à se rendre à un bal dansant. Catherine y fera la rencontre d'un séduisant jeune homme répondant au nom de Morris Townsend. Très vite, ce sera l'amour fou entre eux deux, et les deux tourtereaux envisageront même de se marier sous les plus brefs délais.
Jusque-là, me direz-vous, c'est plutôt banal comme intrigue, non ? Je vous le concède, mais le meilleur est à venir. En effet, le père de Catherine ne croit pas aux belles et nobles intentions du prince charmant incarné par Montgomery Clift : inconsolable depuis la mort de sa resplendissante épouse, le chirurgien juge sévèrement sa fille, et il ne voit en elle qu'une loque indigne de sa mère. A ses yeux, Catherine n'a pas de charisme, elle est incapable de se tenir en société, et elle n'est bonne qu'à faire de la broderie. Si un homme, pauvre de surcroît, s'intéresse à elle, c'est assurément pour sa fortune, et c'est la raison pour laquelle le vieux médecin s'opposera avec véhémence à leur union...
Adapté d'un roman paru en 1880, ce long métrage mérite vraiment le détour pour ses acteurs. Montgomery Clift est parfait dans ce rôle de séducteur sans le sou, et à la différence de sa dulcinée, on se demande longtemps s'il est sincère ou non dans ses émotions. Ralph Richardson incarne quant à lui un père terriblement cruel dans la manière dont il perçoit sa fille, mais malgré sa rudesse, on sent qu'il l'aime profondément et qu'il cherche avant tout à la protéger face à d'éventuels profiteurs. Mais la palme de l'interprétation revient évidemment à Olivia de Havilland, et l'académie des Oscars ne s'y trompa pas puisqu'elle la consacra "meilleure actrice" pour ce rôle d'héritière aveuglée par l'amour. Peu mise en valeur, Catherine fait peine à voir, car son destin semble tracé d'avance : c'est un être faible, et sa richesse fait d'elle une proie facile pour les rapaces en tout genre. Endurcie par les désillusions diverses et variées qui jalonneront sa vie, elle se transformera drastiquement sous nos yeux : ses traits autrefois innocents s'assombriront, sa voix perdra quelques octaves, et la demoiselle influençable et candide se muera définitivement en femme cruelle et résignée sur son sort.
William Wyler signe là une jolie réflexion sur l'influence néfaste que peut représenter l'argent dans une histoire d'amour naissante. Le réalisateur aux 3 Oscars dénonce également les relations glaciales qui régnaient dans certaines familles bourgeoises du XIXème siècle, et à travers le personnage de Catherine, il nous montre toutes les répercussions psychologiques que le manque d'affection d'un parent envers un enfant peut avoir sur son épanouissement personnel futur.
Un très joli film, que je vous recommande chaudement !