Evoquer Kafka n'était même pas nécessaire tant la portée allégorique de cette histoire se laisse lire toute seule.
Allégorie n'est pas vraiment le mot, il faudrait parler de synecdoque. Loin de moi l'envie de faire dans le pompier mais nous sommes ici devant une œuvre à tendance littéraire, en témoigne donc le prof de français en thèse sur Kafka. Les curseurs sont au maximum pour que l'on pense « figure de style ».
Au-delà de l'aspect formel, sobre et parfait d'un thriller modeste brillamment mené, il s'agit bien évidemment, à travers des six élèves parfaits à col blanc gosses de riches arrogants, de donner par la poétique une vision du comportement de nos jeunes élites. Ce mot est prononcé, le choix de rassembler ses premiers de la classe en une seule d' « excellence » (prononcé aussi), est affirmé.
Arrivé pour un remplacement après un suicide, Pierre (Laurent Lafitte, parfait aussi), est agacé par la suffisance de ses collégiens et les soupçonne très vite de quelque chose.
Cette histoire n'est pas plus épaisse qu'une nouvelle d'une quinzaine de pages, et prétend simplement la mener au rythme adéquat. Et c'est une réussite.
Cessez votre lecture ici si vous n'avez pas lu le film. Ceci une exégèse d'après-film (intellectualisme pompier, + 2).
En plus de maîtriser le langage cinématographique pour orienter notre regard vers les seuls éléments intéressants pour le récit et ne jamais se complaire dans son esthétique, ce qui est appréciable est cette sensation d'un film de genre non référencé, comme une sorte de film premier. Ce premier plan très long sur un soleil éblouissant accompagné d'un acouphène synthétique installe à lui seul un climat inquiétant, maintenu tout le long du film. La mise en scène s'en tient à ce rythme dans un grand respect du point de vue unique avec une utilisation académique mais optimale des différentes profondeurs de champ, à travers tous ces plans d'espionnage de Pierre vers son groupe de six têtes d'ampoules. Seule une poignée de plans courts déroge à la règle, c'est un tout petit peu dommage mais utile.
Et ce point de vue unique, s'il permet l'immersion, permet évidemment la prouesse habituelle du thriller psychologique, celle du doute. En effet, Pierre a des doutes légitimes, qui le taraudent, il est en cela corroboré par l'aspect très chelou des loisirs des jeunes. Mais il se laisse parfois emporter sans suffisamment de preuves pour étayer ses craintes. La peur qu'il soit paranoïaque, ou pire, le héros seul tenant de la vérité guette derrière notre siège tout le long.
Pour raconter cela, Sébastien Marnier, pourtant en terrain largement déboisé, se refuse donc à faire un film cinéphile. A part une parenté fugace avec LE VILLAGE DES DAMNES (John Carpenter, 1995, ou Wolf Rilla, 1960) et une ressemblance à un style François Ozon quand il joue avec nos nerfs sur la bourgeoisie (DANS LA MAISON, 2012, et un peu L'AMANT DOUBLE, 2014, pour la récupération d'un thème propre au film fantastique-horreur), rien ne vient souligner l'aspect fictionnel de cette histoire. Car le propos, quoique jubilatoire, est sérieux.
Pierre semble plutôt gauchiste, on le lui fait remarquer, il ne paraît pas spécialement tenir les riches et les élites dans son cœur (« je suis plutôt ZEP »), et même, il fume des ouinjes. Il est aussi agacé que nous par leur petits airs supérieurs, et pourtant, quand un gamin se confronte à eux et pète un plomb, il est bien obligé de punir la violence du pétage de plomb, et de prendre parti contre son "camp". Ensuite, l'élite ( sous l'apparence de la diaboliquement tête-à-claque Apolline et son prénom de chemise à dentelle) vient lui dire qu'ils ne veulent pas être aidés. Et d'ailleurs, les gauchistes « veulent aider des opprimés qui ne veulent pas être aidés ».
A quoi joue-t-elle en secret, l'élite ? A se faire mal, à se faire peur, à « tester leurs limites » et à se filmer, en illustrant ça d'images de pollution, de souffrance animale, de famine, d'animaux sauvages en ville, bref, de l'apocalypse de notre temps.
Alors nous, on est comme Pierre. Cette bande de petits riches,ils ont tout pour eux, ils possèdent le monde (le bar à festivités appartient à la famille d'un des gamins), ils ont le soutien obséquieux de l'institution (à travers le principal, joué par Pascal Greggory); on se doute qu'ils préparent un sale coup. Ils n'aiment personne, ils pensent qu'on les jalouse, ils vont forcément faire des représailles sadiques.
Mais le dénouement est une tentative de suicide collectif. On pouvait y penser mais ce n'était pas cohérent avec l'image habituelle des élites. On peut alors s'insurger du recours au twist, mais je trouve qu'il sert un réel propos. Les élites actuelles, en tout cas leurs jeunes enfants, ne croient pas plus en l'avenir que les classes moyennes ou inférieures. Ils ont l'excellence et ne savent pas quoi en faire. Ils ont en héritage un monde pourri qui prend l'eau par tous les trous et ça ne les réjouit pas d'en être les propriétaires. Ils sont d'ailleurs sûrement propriétaires de la centrale nucléaire qui plane au-dessus de la petite ville et que l'on ne découvre qu'à la fin. Ils sont intouchables. Mais leur secret c'est de se suicider ensemble. Une génération « un peu trop lucide » nous dit Apolline à la fin. Ainsi, Pierre a en fait joué les conspirationniste en les croyant machiavéliques. La jeune génération favorisée et possédante à qui tout devrait sourire n'assume pas plus que les autres l'état du monde, au point de ne trouver de satisfaction que dans le masochisme collectif. Et de préférer s'en retirer.
Voilà une vision intéressante du comportement des élites. Car si Pierre est le conspirationniste, il a toutes les raisons de l'être. Il n'a pas tort sur l'entre-soi des élites et leur cynisme total. Cette élite ne pense pas une seule seconde à arranger les choses, à tendre la main vers ses « inférieurs », alors qu'elle partage le constat macabre généralisé de l'état du monde. Elle est bien cynique et entre-soi. Le conspirationniste se trompe uniquement sur ses intentions. C'est sûrement Kafka qui lui monte à la tête, LE PROCES, LE CHATEAU, ça rend grave parano. Car non, l'élite ne veut pas se partager le monde et le garder comme cour de récréation privée pour ses désirs morbides. L'élite est totalement dépassée et impuissante, et en est entièrement consciente. Elle ne voit plus d'autre choix que l'autodestruction.
Régulièrement, alors que le film avance et élargit son propos à la société industrielle, on nous rappelle à ce premier plan d'un soleil brillant, brûlant, qui fait suer les corps. Sa signification heureusement, n'a plus à être verbalisée.
Par optimisme, certainement très humaniste, Sébastien Marnier fait pleurer le gauchiste à l'idée que quiconque se suicide. Il sauve l'élite et termine avec une note d'espoir : deux mains enfin nouées entre le gauchiste et l'élite devant la destruction de l'industrie polluante, représentée par la centrale nucléaire.
C'est une lecture un peu envolée de ce film que je viens de proposer ici, j'ai hâte d'en lire des différentes. En tout cas, quand un film fait cet effet et pousse à l'interprétation de façon aussi claire, c'est qu'on est devant un bijou finement ciselé d'écriture, de mise en scène, et de choix des motifs.