Bastien a 10 ans et supporte mal le passage dans le monde des adultes. Depuis la mort de sa mère, son père ne sait pas s’y prendre avec lui. Harcelé par des petits caïds de son école, il se réfugie dans les livres. Un jour, un étrange libraire lui procure l’Histoire sans fin, un roman fantastique qui décrit un monde féérique. Le livre est si prenant que Bastien sèche l’école et refuse de rentrer chez lui pour finir cette l’histoire. Une histoire étrange, en vérité, puisqu’il semblerait qu’il puisse interagir avec…


Qui n’a pas rêvé de Fantasia ? De ses forêts enchantées, de ses peuples féériques, de voler sur le fabuleux dragon-peluche Falkor et de rencontrer la mystérieuse impératrice ? Qui était sûr d’avoir le courage d’affronter Gmork, et même l’Oracle sudérien ? L’histoire sans fin a fait rêver une génération de bambins qui sont devenus adultes, et qui ont continué de rêver. Production typique des années 80 avec ses effets spéciaux à base de marionnettes et de superposition de pellicules, le film est épique, prenant et finalement (mais il faut attendre la fin) joyeux. Les acteurs, de jeunes adolescents, interprètent brillamment leur personnage et donnent une candeur précieuse à cette œuvre. Les marionnettes également, plus vraies que nature comme on savait les faire à l’époque, apporte une dimension féérique irrésistible à ce film. Du coup, adulte, il est très tentant de revoir cette œuvre qui nous a tant marqués. Bien sûr, le jeu, l’image et les effets spéciaux sont datés, mais la féerie est intacte. En revanche… Le regard adulte, avec sa lucidité implacable, révèle la réalité de Fantasia. Et du coup, fait le jeu du Néant.


En effet, L’histoire sans fin est une apologie de la schizophrénie. Bastien, orphelin de sa mère, n’a pas supporté cette perte et fuit toujours plus loin dans des mondes imaginaires. Son quotidien sordide (il est tabassé à l’école, il est mauvais dans ses études et son père ne sait pas lui parler, lui-même luttant avec son propre deuil). Le livre que lit Bastien est sûrement un roman classique, mais la démarche du préadolescent fait toute la différence. Il s’approprie l’histoire, la change en s’y intégrant lui-même jusqu’à la faire sienne. Le cœur de cette histoire, une étrange et mystérieuse femme-enfant que tous révèrent, doit être nommée, et donc identifiée, par Bastien. Évidemment, il l’appelle du prénom de sa mère, en faisant du coup un avatar de sa maman décédée. Dès lors, il est dans un paradis phagocytant dans lequel il peut faire tout ce qu’il veut. La réalité n’a plus de prise sur lui puisqu’il lui préfère son imagination. À la fin, Bastien peut couper à volonté sa perception du monde ou la changer au gré de ses envies. C’est d’autant plus terrible que le Néant représente la raison qui balaie les fantasmagories et Gmork, la pulsion qui l’oblige à se confronter à la réalité. Terrifiante analyse qui renvoie les farfadets et les géants mangeurs de pierre dans le gouffre de la folie.


Il est également curieux de constater que les trois acteurs principaux de cette œuvre ont arrêté le cinéma quelques années après. Les raisons et les dates varient, mais la coïncidence est étrange, d’autant plus que le film a eu un immense succès et continue d’être une référence de la féerie. Wolfgang Petersen aurait peut-être pu nous en dire davantage, mais il est passé définitivement de l’autre côté. Le film restera donc un conte mignon tant qu’on le regarde avec une âme d’enfant.

OeilDePatrick
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le 4 nov. 2023

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