Ce film me hante. Depuis des années, il occupe un espace particulier dans mon esprit, tant pour ses images marquantes que pour ce qu’il représente sur le plan émotionnel. Ma critique, par conséquent, n’est peut-être pas totalement objective, car cette œuvre est ancré dans mon âme.


Wolfgang Petersen fait le choix audacieux mais inévitable : adapter uniquement la première moitié du chef-d’œuvre de Michael Ende. Ce n’est pas une simple question de durée ou de moyens, mais une évidence face à l’ampleur du roman, qui plonge dans des réflexions philosophiques complexes et un récit dense. En se concentrant sur la première partie, Petersen offre un film plus accessible, mais au prix d’une certaine perte de profondeur. Michael Ende lui-même reniera l’adaptation, estimant qu’elle trahissait l’essence de son œuvre. Pourtant, ce que le film sacrifie en fidélité, il le compense en puissance visuelle et émotionnelle.

L’Histoire sans fin n’est pas une production hollywoodienne classique. Bien qu’étant estampillé Warner Bros., le film conserve une patte européenne très marquée, notamment grâce à son esthétique et à sa photographie signée Jost Vacano (connu pour Das Boot). Cette approche donne à L’Histoire sans fin une atmosphère unique, sombre et mystérieuse, bien éloignée des standards de la fantasy tapageuse. Les décors, bien que datés aujourd’hui, participent à cette sensation d’étrangeté : on oscille entre le conte de fées et le théâtre minimaliste. Les effets spéciaux, réalisés sans CGI, sont ingénieux pour l’époque mais figent souvent l’action dans des plans fixes, imposant une lenteur qui tranche avec les films modernes.

Là où L’Histoire sans fin brille, c’est dans la conception de ses créatures et de ses lieux. Falkor, le dragon de la chance, mélange d’innocence et de majesté, reste une icône inoubliable. À l’inverse, Gmork, avec ses mouvements mécaniques raides, trahit les limites techniques, mais sa voix et sa présence suffisent à instaurer une tension palpable. Morla, la tortue géante nihiliste, est un autre exemple de cette conception "artisanale" : son design imposant compense largement le manque de fluidité. Chaque créature semble sortie d’un rêve ou d’un cauchemar, et c’est précisément ce qui rend cet univers aussi captivant qu’inconfortable.

La bande originale, composée par Klaus Doldinger et accompagnée par Giorgio Moroder pour les morceaux pop, joue un rôle essentiel dans l’identité du film. La chanson-titre, The NeverEnding Story, est devenue emblématique, mais c’est la partition de Doldinger qui ancre véritablement le film dans une ambiance mélancolique et onirique. Les thèmes musicaux apportent une dimension émotionnelle qui compense parfois les faiblesses visuelles, notamment dans des scènes comme la mort d’Artax ou l’apparition de l’Impératrice.

En ne conservant qu’une partie du roman, le film simplifie forcément l’histoire. Il laisse de côté toute la seconde moitié, où Bastien entre réellement dans Fantasia et découvre les conséquences de ses vœux et de ses choix. Ce manque se ressent particulièrement dans la résolution, où la quête de Bastien pour reconstruire Fantasia est abrégée et remplacée par une vengeance enfantine contre des garnements. Ce choix, s’il peut frustrer les adultes, trouve un écho auprès du jeune public, pour qui cette fin plus légère offre une conclusion satisfaisante.

Là où le film excelle, c’est dans sa capacité à toucher profondément le spectateur. Des scènes comme la mort d’Artax dans les Marais de la Mélancolie ou le combat final contre Gmork, bien que perfectibles sur le plan technique, restent inoubliables par leur charge émotionnelle. Petersen réussit à capturer l’essence du désespoir et de l’espoir, deux forces qui s’opposent tout au long du film. Ce n’est pas un récit héroïque classique, mais une exploration de ce qui rend le rêve vital pour l’humanité.

L’Histoire sans fin n’est pas une adaptation parfaite, ni un chef-d’œuvre technique. Mais c’est un film qui ose s’éloigner des conventions pour offrir une expérience unique, entre mélancolie et émerveillement. Ses imperfections – décors datés, rythme parfois inégal – sont autant de marques d’un cinéma sincère, artisanal, qui croit en la puissance du récit et de l’imaginaire. Peut-être est-ce cette sincérité qui le rend si marquant pour moi. Chaque vision me replonge dans un univers qui semble familièrement étrange, et je m’y perds à chaque fois avec une émotion intacte.


Malgré ses limites, L’Histoire sans fin reste pour moi une œuvre fondamentale de ma cinéphilie, un rappel poignant que, sans rêve, le Néant gagne toujours.

Le-Pitt
9
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le 24 janv. 2025

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Le Pitt

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