Quand l'homme devient la caméra
Quelle expérience ! S'ouvrant sur la représentation d'un metteur en scène sur une caméra géante, "L'homme à la caméra" s'avère d'abord légèrement déroutant avant de nous transporter au cœur d'un ballet d'images et d'idées, orchestré avec brio et j'ai été peu à peu happé par les images qui défilaient et finalement la richesse de cette oeuvre.
Dziga Vertov livre sa vision du cinéma, c'est-à-dire sans recourir aux artifices du théâtre (scénario, dialogue...) et propose un langage cinématographique absolu mais surtout une vraie expérience, sensorielle et puissante où le spectateur devient la caméra. C'est à travers une journée dans la ville d'Odessa, où l'on va découvrir ses habitants, ses loisirs ou encore ses infrastructures qu'il propose cette expérience.
Mais Vertov capte bien plus qu'une simple journée dans cette ville auprès des habitants, il propose une fascinante mise en abîme où son excellent travail sur la sonorisation fait corps avec les images, proposant une véritable symphonie visuelle. S'ouvrant dans un cinéma où l'on découvre d'abord les spectateurs et le rideau cachant l'écran puis la façon de faire, Vertov montre tout (montage, réalisation...) et notamment la façon donc le public, comme nous, est happé par l'écran. Il montre toutes les possibilités que l'on peut avoir avec une caméra et peu à peu, on découvre une ville qui s'éveille et qui va vivre.
Ici les images servent de dialogues et Vertov déborde d'idées servant avant tout son film. Usant de surimpression, ralenti, collages, divers mouvements de caméra, zoom ou autres plans larges, il joue et manipule l'image et, à travers la vision de cette ville, propose un regard sur la politique, le travail et le loisir. Il offre une vision subjective sur la population, la masse, l'illusion et la vie dans l'entre-deux-guerres et dans cette société, mais c'est aussi autour du cinéma, son rôle et la façon de l'utiliser qu'il axe ses propos.
En voilà une oeuvre aussi essentielle qu'elle est difficilement abordable. Dziga Vertov orchestre ses idées et ses images avec brio pour nous faire voyager au cœur d'Odesse pour y découvrir un regard sur le cinéma et la société. Brillant...