A l'heure où les sites de rencontres sont légion, où on se délecte des anecdotes croustillantes de nos proches, où on en fournit soi-même volontiers pour rythmer les soirées et gagner le prix du meilleur gossip (l'équivalent d'un +8 voire d'un +12 au Uno pour les plus mesquins).
A l'heure où le ghosting se répand plus vite que les punaises de lit quand les médias n'ont plus de sujets polémiques à matraquer à outrance et où on ne compte plus les affaires glauques sous fond de violence parfois banalisée, il est un documentaire qui essaie d'apporter quelques réponses ou du moins de s'arrêter pendant 1 heure 30 sur la question de l'usurpation d'identité.
Qu'est-ce qui pousse un homme à partager sa vie entre plusieurs femmes, à mentir avec une assiduité folle, à s'inventer des enfances, des métiers, des comportements multiples, des amis imaginaires, des familles, des drames et des passions ?
Et ces femmes toutes victimes de ce même homme, qu'ont-elles en commun ? Ont-elles un type ? Sont-elles son type ? Est-ce le fruit du hasard ?
Doit-on éprouver de la pitié, de la frustration, de l'indifférence ou de la haine ? Qu'aurions-nous fait à leur place ? Nous serions-nous laissés berner, comme elles, qui n'ont pourtant pas l'air plus naïves que d'autres ?
Ce qui fascine dans ce documentaire, c'est de voir jusqu'où s'étend le mensonge, à quel point il est profondément ancré chez ce Ricardo. Le mensonge fait partie intégrante de sa vie, la manipulation également, mais qu'y a-t-il derrière les masques ?
Ce film m'a plu, pourtant, sur le papier, rien de nouveau à l'horizon.
On a tous entendu des histoires de personnes menant une double vie, on a tous un.e ami.e ou un.e ami.e d'ami.e qui nous a raconté comment Untel a menti sur sa taille en se rajoutant 3 centimètres/sur son âge en se faisant grâce de 5, 8 ou 10 ans/sur sa situation familiale en omettant qu'il (généralement) avait un, deux ou trois enfants.
Alors, me direz-vous, pourquoi aller voir L'Homme aux mille visages film alors que Nadine de la compta ou Jocelyne de la médiathèque du quartier voisin ont sans doute raconté à peu près la même histoire à la machine à café à la pause de 10h30 il y a 4 mois ? Tout simplement parce que...
Cette fois, c'est nous (à travers le regard de la réalisatrice) qui sommes en embuscade, tuyau d'arrosage à la main et qui nous apprêtons à arroser l'arroseur, à la fin.
C'est un peu manichéen, un peu binaire peut-être, mais c'est un plaisir sadique qu'on s'autorise en se riant de ce "sociopathe" en se disant que ces femmes ont le droit à cette petite vengeance. Vous ne pensez pas ?
Au jeu du shérif et du bandit mythomane, il faut bien que ce dernier se fasse tôt ou tard rattraper par ses mensonges.
On pense au début passer un moment léger en mangeant du pop corn jusqu'à voir ledit Ricardo en action, petits sadiques que nous sommes, mais très vite, on se surprend à vouloir que quelque chose se passe réellement.
A mesure que le fil se déroule, on se rend compte que les femmes qui sont tombées dans son piège bien rodé n'ont pas grand-chose en commun, que ce soit en termes de physique, de mode ou de lieu de vie, de travail. Certaines sont psychologues, d'autres sont issues d'un milieu modeste et toutes ont eu droit à une version différente de notre arnaqueur. Alors qu'ont-elles vu en lui ? Et surtout, comment s'en est-il sorti jusque-là ?
Aller voir L'Homme aux mille visages, c'est soutenir cette enquête personnelle menée par Sonia Kronlund. J'irai même plus loin, c'est carrément un acte féministe et un gros doigt d'honneur placé devant le visage de cet homme à qui on fait la nique en choeur.
Il est difficile de juger le format documentaire car il ne laisse généralement que peu de place à la créativité, mais L'Homme aux mille visages connaît son sujet et en joue. Il se sert de quelques effets pour dédramatiser, tourner en ridicule.
On traite d'un thème important et on est en empathie avec ces femmes qui nous livrent cette histoire, ça on le sait bien, mais cela n'empêche pas de (sou)rire à plusieurs moments. Attention, on ne rit jamais avec lui, nope, on rit de lui.
Il ne s'agit pas d'un film à charge, mais on sait de quel côté on se trouve et heureusement. Une malice bienvenue se dégage de ce film et quand arrive le dernier acte, s'il était un regret, ce serait celui que la réalisatrice ne soit pas allée encore plus loin.