Le cinéma argentin n'en finit pas d'évoquer le traumatisme de la dictature et son héritage. A travers le fantastique (La casa muda/the silent house), à travers le drame (Dans ses yeux et Carancho) et aujourd'hui avec l'Oeil invisible et l'Homme d'a coté. Si dans la casa muda, dans ses yeux et l'oeil invisible il s'agit d'évoquer la dictature et ses tortures "a domicile" (si il est d'usage de torturer dans des commissariats, des stades ou des prisons, en Argentine, les opposants étaient torturés dans les caves de jolies villas bourgeoises.) Carancho montre l'état dans laquelle se retrouve l'Argentine après tant d'années de pillages et d'abandon de l'Etat aux intérets privés du temps des dictatures: c'est à dire un peuple livré aux mafias et à la corruption.
L'Homme d'à côté a la particularité de se concentrer quasi uniquement sur un couple de trentenaires bourgeois bohème et leurs amis et étudiants. Un monde auto suffisant, ayant étudié dans le monde entier, cultivant les idéaux de gauche en plaquant un poster du Che mais totalement soumis au fétichisme de la société de consommation.
Le film commence par ce mur qu'il faut faire tomber. Détruire ce mur que c'est construit une certaine intelligentsia pour oublier, voir nier l'Histoire argentine. Et ce mur, c'est un homme plus vieux, pas encore un grand père, mais plus vraiment jeune, qui va le détruire pour y installer une fenêtre. Un espace de liberté. Un homme rustre, loin d'être rassurant, mais qui se révèle bien plus humain que le couple bobo.
Parce que notre jeune prof de design est loin d'être aussi cool et boheme qu'il le laisse transparaitre, totalement dévoué aux objets, il se montre incapable d'avoir une relation humaine, ni avec sa fille, ni avec sa femme (qui ne sont pas mieux que lui) et encore moins avec son inquiétant voisin. Il est interessant de noter l'importance du lieu ou se déroule le film, une maison construite par Le Corbusier, architecte d'une grande importance, mais qui est aussi connu pour avoir été un militant fasciste. La fascination de ce jeune argentin au look mondialisé pour cet architecte fasciste est loin d'être anodin vu le régime fascisant qu'a connu par le passé l'Argentine. A travers ce portrait de bourgeois boheme, les réalisateurs font la satire de leurs semblables qui ont fait le choix de nier leur humanité d'oublier le passé fasciste de l'Argentine et de s'offrir à un nouveau fascisme de la société de consommation.
On sait depuis Chomsky et La Stratégie du Choc de Naomi Klein que les dictatures d'amérique latine étaient en réalité des laboratoires d'une idéologie encore naissante, celle de Milton Friedman, le néolibéralisme. Ce que semble dire Gaston Duprat et Mariano Cohn c'est que, s'agissant de la génération des trentenaires argentin, la stratégie de Milton Friedman a porté ses fruits et qu'il n'y a plus besoin de torturer et d'enlever les intellos, ils ont depuis longtemps oubliés leur sens critique et obéissent sans réfléchir à une idéologie mortifère...
Tout ça est bien sur très interessant, mais il est dommage que leurs personnages soient bien trop détestables pour s'y intéresser.
Du coup, le film devient pénible.