Jusqu'au bout du monde
À la fin des années vingt, Robert Flaherty, cinéaste "incontrôlable" et incapable de réitérer son succès initial de Nanouk l’Esquimau, n'intéresse plus guère les producteurs des studios...
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le 18 sept. 2022
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Le chef-d’œuvre de Robert Flaherty.
Au début des années 1930, Flaherty pose sa caméra sur Aran, un archipel irlandais d'îles rocailleuses désolées et constamment battues par les flots où (sur)vit une petite communauté d'Hommes isolés du monde. Il y filme la vie quotidienne d'une famille, comment ils récoltent des algues, établissent une ferme à pommes de terre ou encore s'engagent dans d'ardues séances de pêche au requin ; la vie périlleuse de L'Homme d'Aran.
12 après son inaugural Nanouk l'Esquimau, le documentariste fait montre d'une caméra assurée et maîtrisée. Il sait ce qu'il veut filmer et comment le mettre en valeur, dévoilant nombre de compositions marquées, et marquantes. Bien que le film s'autorise parfois quelques longueurs, la plupart des scènes est fascinante ou magnifique, souvent les deux à la fois - on retiendra notamment la première apparition, spectrale, du requin pèlerin déformé par les rides de l'eau, véritable point fort du film. Flaherty semble avoir tiré quelques leçons du cinéma soviétique, s'y référant implicitement à travers son montage ou certains plans, comme celui de l'homme en contre-plongée dans la carrière de pierre qui n'est pas sans rappeler une séquence similaire dans Le Sel de Svanétie de Kalatozov.
Le cinéaste s'applique surtout à perdre ses personnages dans des plans larges ou panoramiques, renforçant en comparaison la grandeur et la puissance des éléments qui les entourent. Car ce sont eux les véritables protagonistes du récit, entre la roche abrupte et ses profils escarpés et la fougue de l'océan dont les vagues viennent s'écraser sur les falaises, monumentales. Rares sont ceux qui filment la mer avec autant de révérence que Flaherty. En ce sens, les scènes finales de la tempête sont particulièrement équivoques. Les embruns semblent crever l'écran et octroient à l’œuvre une texture presque sensible.
L'atmosphère de L'Homme d'Aran est complimentée par des effets sonores pertinents et une bande originale d'inspiration folklorique du meilleur effet. Début du parlant oblige, les personnages aussi donnent de la voix tout au long du métrage ; mais les dialogues n'ont pas grande importance. Ce sont davantage des faire-valoir, pour que le film ne soit pas muet, mais Flaherty le réalise comme s'il l'était et ses images parlent d'elles-mêmes. Rajoutés en post-synchronisation, ils sont de toutes façons difficilement compréhensibles à travers le patois irlandais des insulaires à l'accent aussi dur que la roche dont est faite leur île.
L’œuvre s'inscrit dans la mouvance de l'ethnofiction, genre docu-fictif qui s'intéresse à l'existence des Hommes à travers sa reconstitution par ceux qui la vivent au quotidien. Les personnages sont les acteurs de leur propre vie (La famille n'en est pas réellement une) et certaines scènes sont ostensiblement montées, les plans trahissant la nécessité de faire plusieurs prises. Mais L'Homme d'Aran n'en reste pas moins un documentaire en ceci qu'il témoigne d'un mode de vie bien réel, fut-il romancé et reconstitué pour les besoins d'une caméra attentive. D'aucuns s'en offusqueront ; à ceux-là, je répondrai le même argument que celui cité par Roger Ebert dans sa critique de Nanouk...
C'est une mise en scène, peut-être, mais la séquence de la chasse au requin pèlerin nécessitait tout de même de, et bien, chasser un requin pèlerin - l'un des plus grands animaux marins de notre planète, soit dit en passant - et il n'avait pas lu le script, lui.
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Créée
le 14 nov. 2020
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