Pauvre professeur
Après voila un an, un professeur d'histoire Samuel Paty, décapité pour son cours sur la liberté d'expression et les caricatures qui a été blamé par sa hiérarchie, voici l'histoire d'un professeur...
Par
le 16 oct. 2021
10 j'aime
1
Pires que les « bas-fonds », peints par Renoir (1936) puis Kurosawa (1957), tous deux s’inscrivant chacun à sa manière dans le sillage de la pièce (1902) de Gorki… Les sous-sols ! On ne peut s’empêcher de songer au documentaire saisissant d’Ulrich Seidl, « Sous-sols » (2014), qui promène son spectateur d’une stupeur à l’autre, entre rire et consternation. Se détournant résolument du sixième étage solaire et proche du septième ciel qu’il était allé visiter auprès de « Les Femmes du 6e étage » (2011), Philippe Le Guay reprend son exploration d’un immeuble en s’enfonçant, cette fois, dans ses sous-sols, pour y rejoindre François Cluzet, qui incarne « l’homme de la cave » éponyme.
On pourrait croire l’argument du film invraisemblable, si le réalisateur lui-même, également co-scénariste, avec Gilles Taurand et Marc Weitzmann, ne reconnaissait ouvertement s’être inspiré d’une mésaventure très semblable advenue à un couple d’ami : après avoir vendu une cave inutilisée, dans leur immeuble parisien, à un inconnu (François Cluzet, magnifique dans ce rôle plus qu’ambigu, entre détresse et abjection), un couple bourgeois (Bérénice Béjo et Jérémie Renier) voit cet homme, Jacques Fonzic, ancien professeur radié de l’Education Nationale pour ses opinions négationnistes, s’installer à demeure dans ce lieu impropre à la résidence, ce qui a pour effet de soulever contre eux, en tant que vendeurs trop peu regardants, la copropriété tout entière. Le mari, Simon Sandberg, ayant lui-même des origines juives mal assumées, le malaise porté au sein du couple est complet.
L’idée de base est astucieuse et potentiellement féconde, assez bien exploitée, d’ailleurs, en ce qui concerne ce resurgissement de l’Histoire au plus intime de celui qui a voulu s’en détourner trop radicalement ; jusqu’à cacher à son épouse les origines et, précisément, l’histoire de l’appartement dans lequel ils résident. Plutôt intéressant également, ce retournement des destins : le négationniste, solidement antisémite, se retrouve dans la position de la vermine, du rat se terrant dans sa cave, et endosse ainsi le statut dont il aurait voulu affubler les Juifs. 0n croit voir s’inverser sous nos yeux le tableau de Rembrandt, « Philosophe en méditation » (1632), et l’escalier qui figure la pensée et la réflexion ascensionnelles du philosophe s’enfoncer dans les profondeurs les plus turpides. On songe aussi au « Lemming » (2005) de Dominik Moll, ce petit rongeur niché dans les conduites d’eau d’une maison et provoquant une profonde crise dans le couple des occupants par sa seule présence.
La qualité du jeu des acteurs - Cluzet au premier rang d’entre eux, mais aussi Renier, Jonathan Zaccai, dans le rôle de son frère ou Patrick Descamps en grand-père -, maintient l’attention, mais on souffre aussi devant certaines situations un peu fausses ou forcées, notamment toutes celles qui impliquent la fille du couple. La musique, également, de Bruno Coulais, et, par moments, l’image de Guillaume Deffontaines, dans certaines scènes de cave, lorgnent exagérément du côté du thriller, alors que le scénario n’éveille jamais réellement la peur, suscitant au contraire, dans les meilleurs passages, l’intérêt ou la réflexion.
On regrette finalement que l’ensemble ne soit pas plus abouti, peut-être du fait d’une difficulté à se positionner simplement par rapport à une histoire singulière, sans vouloir à toute force rejoindre les codes de tel ou tel genre cinématographique prédéfini. Un scrupule dont se dégage davantage Philippe Le Guay dans ses comédies, que l’on songe au délicieux « Alceste à bicyclette » (2013) ou à son savoureux « Normandie nue » (2018), infiniment plus audacieux et subtil.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films où il est question de la paternité, frontalement ou latéralement.
Créée
le 19 oct. 2021
Critique lue 3.1K fois
18 j'aime
7 commentaires
D'autres avis sur L'Homme de la cave
Après voila un an, un professeur d'histoire Samuel Paty, décapité pour son cours sur la liberté d'expression et les caricatures qui a été blamé par sa hiérarchie, voici l'histoire d'un professeur...
Par
le 16 oct. 2021
10 j'aime
1
Dommage ça démarrait pourtant bien. Les premières scènes de l’Homme de la Cave ou l’on fait connaissance avec les personnages, par le biais d’une banale transaction immobilière, sont en effet plutôt...
Par
le 14 oct. 2021
10 j'aime
2
Je voulais voir cet Homme dans la cave pour me moquer de son délire et de sa mauvaise foi, j'en suis sorti triste – à la fois blasé d'une telle sur-confirmation miteuse et satisfait de trouver une...
Par
le 23 nov. 2021
10 j'aime
1
Du même critique
Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...
le 17 août 2017
81 j'aime
33
Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...
le 14 nov. 2019
75 j'aime
21
Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...
le 26 août 2019
72 j'aime
4