"I don't read no papers. I know the world's been shaved by a drunken barber...

... and I don't have to read it."


Il y a dans Meet John Doe (ou L'Homme de la rue) toute l'essence du cinéma de Frank Capra, ce mélange de naïveté, de conscience politique populaire, de poujadisme dilué et de foi (jusque dans son acception religieuse) en la capacité de l'être humain à se dresser contre l'injustice. En ce sens ce film moins réputé est très proche d'autres beaucoup plus célèbres comme notamment L'Extravagant Mr Deeds (Mr. Deeds Goes to Town, 1936) et Mr. Smith au Sénat (Mr. Smith Goes to Washington, 1939) en projetant sous la lumière des projecteurs un être candide et pur confronté au cynisme de la réalité sociale ou politique et dont l'idéalisme sera mis à mal (mais pas totalement anéanti) par la cupidité et l'arrivisme de certains de ses semblables.


Remarque subsidiaire en mode mineur, Gary Cooper m'apparaît de plus en plus comme un ersatz de Cary Grant, même en faisant abstraction de sa présence dans The Fountainhead un sentiment désagréable d'antipathie va grandissant. Heureusement, il y a la remarquable Barbara Stanwyck et le plus humble Walter Brennan à ses côtés pour l'épauler.


Du côté du scénario il y a également pas mal d'obstacles pour nous faire trébucher, des ficelles un peu trop grosses pour faire passer des péripéties au forceps sans qu'elles soient questionnées. Le coup du sabotage du gigantesque discours à la convention des John Doe est torché un peu trop facilement, le prêtre (qu'est-ce qu'il fout là lui, dans un tel rassemblement ? on est décidément bien aux États-Unis) a tout son temps pour son petit discours comme par hasard, et il suffit à quelques perturbateurs de couper 2 fils et scander "bouh, John Doe est un fake" pour tout faire s'écrouler comme un vulgaire château de cartes.


Mais peu importe, ou presque, car là n'est pas le sujet : c'est plutôt du côté de ce clodo qui se prend au jeu de l'usurpation d'identité et qui se voit projeté à la tête d'un mouvement de contestation sociale d'ampleur conséquente — ce dernier étant manipulé par un groupe de riches hommes d'affaires dans le but de créer un troisième parti et briguer un mandat à la Maison-Blanche. Le tout est en réalité lancé par une journaliste sur le point d'être renvoyée, qui a créé un personnage imaginaire censé représenter le malaise ambiant. La formule est très attendue pour un Capra, on connaît d'avance les élans d'optimisme qui vont inonder le film, et les tentatives de corruption des politicards véreux. Le final en haut de la mairie est un peu too much, en termes de romance (avec des répliques romantiques tragiques du type "Oh, John, if it's worth dying for, it's worth living for") et de deus ex machina, même si ce n'est pas un happy end frontal. Toujours la même utopie de la bonne volonté universelle (comprendre américaine) : c'est un peu fatigant. Heureusement que de nombreuses tirades bien senties jalonnent le récit, à l'image de celle du personnage du colonel : "I don't read no papers, and I don't listen to radios either. I know the world's been shaved by a drunken barber, and I don't have to read it."


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Homme-de-la-rue-de-Frank-Capra-1941

Morrinson
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top films 1941, Réalisateurs de choix - Frank Capra et Cinéphilie obsessionnelle — 2023

Créée

le 21 avr. 2023

Critique lue 32 fois

1 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 32 fois

1

D'autres avis sur L'Homme de la rue

L'Homme de la rue
pphf
8

The true man show

L’Homme de la rue (Meet John Doe) a toujours fait l’objet d’une controverse, d’un malentendu – sur la manière et l’idéologie de son auteur, naïvement humaniste, humainement naïf, voire simpliste, et...

Par

le 27 oct. 2014

28 j'aime

6

L'Homme de la rue
limma
8

Critique de L'Homme de la rue par limma

L'extravagant Mr Deeds, Mr Smith au sénat, L'homme de la rue, Vous ne l'emporterez pas avec vous, quelques belles trouvailles cinématographiques de Franck Capra. Des personnages souvent dépassés,...

le 27 févr. 2019

23 j'aime

15

L'Homme de la rue
raisin_ver
9

Critique de L'Homme de la rue par raisin_ver

Tout part d'une fausse lettre écrite par une journaliste fraîchement remerciée. De fil en aiguille la machination prend de l'ampleur et le mouvement John Doe se propage. L'Amérique se couvre...

le 17 févr. 2011

23 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11