-C'est comme ça que ça devait être, Jube. Toi et moi. Laisse-moi te demander quelque chose. Quand tu es venu, ni toi ni moi ne l'avons voulu, pas vrai ? Quand Shep t'as demandé d'être son second, tu savais ce qu'il en était. Tu aurais pu dire non. Mais tu es resté.
-Oui, je suis resté. Shep m'a donné l'impression d'être quelqu'un. Il m'a donné une raison de vivre.
-Shep. Et nous ? Et si j'avais fait erreur ? Qu'y a-t-il de mal à...
-Il n'y a pas de mal à essayer de... Vous vous êtes juste trompée d'homme, c'est tout.
-Même si tu m'aimes ? Ne me dis pas que tu ne m'aimes pas. Je le sens quand un homme me désire.
-Il y a une différence.
-Va pour la différence. Personne ne le saura, Jube. Personne. Juste toi... et moi.



L'Homme de nulle part est un western un peu à part, réalisé par un maitre du genre Delmer Daves (3h10 pour Yuma, La Flèche Brisée, La Dernière Caravane) qui présente l'adaptation du roman Jubal Troop de Paul Wellman, un auteur intéressant pour les amoureux du western. Avec ce film le cinéaste propose une oeuvre qui se différencie des autres westerns par sa dimension intimiste et tragique où l'action est quasiment invisible. Un mélodrame psychologique se focalisant sur l'adultère et ses conséquences tragiques qui peuvent en découdre. Un thème fortement imprégné de désir, de possession et de jalousie.


La mise en scène entourant la vie de ranch est généreuse, sereine, recueillie et réveur. Possédant une plastique de rêve, comme souvent dans les westerns mais qui ici pèsent lourd avec des plans assez extraordinaires du Wyoming. Un déballage tout en découverte du travail de vacher ou cowboy si vous préférez, auquel la caméra rend grâce en se positionnant souvent en hauteur ou de loin pour simplement nous faire admirer cette pratique d'autrefois. Une sensibilité de l'image véritablement plaisant. D'autres thèmes relativement adultes sont présentés avec ingéniosités, comme avec les convois des pèlerins en recherche de la terre promise qui dénonce le racisme ainsi que l'intolérance face à la différence.


Sans son aspect découverte, L'Homme de nulle part pourrait très bien être une pièce de théâtre tant l'intérêt du récit réside totalement sur les relations entre les différents personnages. En cela, le casting fait des merveilles avec des interprétations formidables. Petit bémol, le rythme qui en souffre un peu, sans pour autant perdre en intérêt. À noter que la partition musicale de David Raksin dirigée par Maurris Stoloff n'est pas si mal, réussissant à amener du contraste grave sur les séquences de tension, sans être désagréable à l'oreille lors des séquences plus posées.


Glenn Ford (L'énigme du Lac noir, La poursuite des tuniques bleues) est fidèle à lui-même en Jubal Troop, charismatique et d'une justesse remarquable dans la sensibilité qu'il apporte. Il est très riche, se dépensant avec générosité et ostentation. Le récit de son personnage est cruellement tragique. Le comédien parvient habilement à ressortir par de simples regards cette détresse enfantine apporter par le traumatisme d'une mère qui rêve de le veut mort depuis son enfance et qui la conduit à fuir toute sa vie depuis l'âge de 7 ans. La séquence où il raconte à Felicia Farr son passé sur la mort de son père et le rejet de sa mère est poignante, très poignante.


Valerie French (The 27th Day, Secret of Treasure Mountain) sous les traits de Mae Horton est loin d'être passive, bien au contraire elle est très active. La comédienne est surprenante dans le rôle de la femme fatale qui est le fil conducteur de toute les péripéties dans le récit. Loin, très loin de l'image de la douce femme au foyer. Elle se présente au contraire comme une femme frustrée, possessive, dégoûtée de son statut, et n'ayant pas peur des mots : une chaude de la culotte se précipitant directement sur le premier nouveau cowboy arrivant au ranch pour satisfaire ses aspirations les plus primaires et échapper à sa condition conjugale. J'aime beaucoup ce personnage qui dans un premier temps aurait pu être à plaindre, mais qui finalement se révèle bien comme une cruelle sorcière.


Rod Steiger (Sur les quais, Le Prêteur sur gages) alias Pinky est génial en véritable cowboy faisandé, jaloux, compulsif menteur et manipulateur. Le discours mensonger qu'il mène devant tous les cowboys paisibles pour les embobiner et les exhorter à poursuivre Glenn Ford est absolument génial. Il a une manière d'aborder les choses par une expression du corps et de la voie réellement convaincant. Il en est lui-même éprouvé et essoufflé, c'est impressionnant. Une grande scène a absolument regarder en VOSTFR.


Felicia Farr (3h10 pour Yuma, Embrasse-moi idiot) dans le rôle de Naomi Hoktor est le parfait opposée de Mae Horgan (Valerie French), en jouant une femme dans la plus frêle féminité, où sa condition de femme aimante de son mari est la plus belle des symboliques pour elle. Charles Bronson (Un Justicier dans la ville, Le Flingueur) alias Reb bien que secondaire se présente comme un aspirant sympathique, qui apporte une épaule amicale au rôle incarné par Glenn Ford. Pour le peu de temps devant la caméra il reste intéressant, apportant un petit enchaînement d'envoi de colt pour le moins efficace.


L'excellent Ernest Borgnigne (Un Colt pour trois salopards, Chuka le redoutable) est de la partie dans le rôle essentiel de Shep Horgan, où pour une fois il ne joue pas un méchant où un sombre idiot, il est au contraire à contre-courant. Il se présente comme le bon gars du film, le père que Juba Troop a perdu et celui qui lui offre une rédemtpion. Il est également le cocu du récit, le mari certes un peu bourru et lourd mais réellement attentionné et aimant de Valerie French, qui le mène par le bout du nez. Le duo qu'il forme avec Glenn Ford est remarquable, amenant une séquence profondément dramatique et terrible entre les deux.


CONCLUSION :


L'homme de nulle part est un western où l'action est reléguée au second, voire troisième plan pour se concentrer avant tout sur la psychologie des personnages ainsi que de son magnifique cadre. Une histoire dramatique où l'intolérance, la différence, la jalousie, la passion, la trahison et le désir insatiable sont le point culminant du récit. Les comédiens font des merveilles pour une écriture soignée même si le rythme y perd derrière.


Le cinéaste Delmer Daves réussie habilement à proposer une autre vision du western qui clairement ne parlera pas à tout le monde mais qui néanmoins s'avère très originale.



Il y a des jours où je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est insulter Dieu que de prétendre qu’il a créé l’homme à son image.


B_Jérémy
8
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le 31 déc. 2019

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