C'est très compliqué de revoir l'Homme de Rio vingt ans après ses souvenirs d'adolescent.
D'abord, j'ai eu beau chercher ça depuis des années, je n'ai jamais été capable de le trouver en DVD, les rares versions existant en vente sur le net ont des prix qui feraient hurler de rire mon grand-père édenté s'il n'était pas mort depuis.
Ensuite, il passe ce soir sur Arte, mais je n'ai pas la TV, moi, faut réorganiser tout le salon, maîtriser les manières de voir les chaînes sur internet, rassurer le chat qui essaie de nous attirer dans le lit habituel, se réhabituer au fait de ne plus pouvoir mettre pause pour les pauses physiologiques d'usage que mon âge bientôt avancé et ma vessie de petite fille rendent de plus en plus nécessaires et surtout se taper l'inconfort de la vision sur un écran d'ordinateur, imbécilité sans nom qui mettra mes yeux à rude épreuve en fin de séance.
Mais sinon, ça n'a pas pris une ride, c'est l'avantage de faire du Tintin sans vergogne ni pudeur, ça ne vieillit pas, même le passage d'Indiana Jones vingt ans plus tard n'arrive pas à enlever au film son petit charme précurseur.
Alors remettons nous dans le contexte. En 1964, quatre ans après A bout de souffle, Belmondo est encore avant tout l'acteur catalogué Nouvelle Vague et pas encore le Bébel bondissant qui arrive à grand pas... Deux ans plus tôt, une première rencontre avec De Broca (assistant réal sur la plupart des premiers films Nouvelle Vague) avec Cartouche a pourtant démontré s'il en était besoin tous ses talents dans un genre un peu plus épique et jubilatoire.
Mais c'est pourtant avec L'homme de Rio seulement que Bébel prend son envol avec tout l'avantage que porte encore sa jeune fraîcheur et seul Bébel est capable de faire le beau parleur entourée de douces créatures et de sortir des choses comme :
"je tire le manche en souplesse, l'appareil monte, monte, monte... Brusquement, l'avion en flammes ! Sous moi, 3000 mètres de vide. Suspendu par la mâchoire, j'avais envie de rire."
Seul Bébel est capable de suivre sans temps morts, sans sourciller et jusqu'au bout du monde la belle de ses pensées dans une trépidante aventure digne des 39 Marches.
Seul Bébel est capable de jouer négligemment de son épaule gauche dans toutes les circonstances, de courir sans s'essouffler pendant la moitié du film, d'utiliser une bonne douzaine de moyens de transports le plus souvent frauduleux, de poursuivre sans un sou, en chemisette et à mains nues une bande de gangsters sans jamais comprendre l'histoire de base dont de toute façon tout le monde se moque et de ne jamais perdre sa gouaille et son esprit d'initiative.
Seul Bébel pouvait finalement rendre crédible les aventures de Tintin à l'écran et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il le fait très bien.
Parce que oui, soyons honnêtes et personne ne s'en cache, mais le scénario n'est bien sûr rien d'autre qu'un joli best-of des plus célèbres aventures du reporter à la houppette dont une retranscription ici serait un peu fastidieuse. La brochette de scénaristes : Philippe de Broca, Daniel Boulanger, son comparse habituel, Ariane Mnouchkine et Jean-Paul Rappeneau ne ce sont effectivement pas trop foulés pour trouver de quoi remplir leurs abracadabrantesque histoire de péripéties les plus savoureuses. A noter qu'ils furent nommés à l'oscar du meilleur scénario et que le film n'est pas du tout inconnu outre-atlantique, Spielberg assumant d'ailleurs très simplement ses emprunts lors de l'écriture des aventures de son bougon mal rasé au fouet claquant.
Mais du coup, le modèle étant à toute épreuve, ça marche très bien. Ils feront même un autre Tintin mâtiné de Jules Verne l'année suivante : Les Tribulations d'un Chinois en Chine, encore plus brouillon d'ailleurs, mais toujours sympatoche.
Ici, la photographie est un poil moche bien sûr, les années 60 françaises obligent, Delerue en fait un peu trop, Françoise Dorléac est plus talentueuse que sa soeur mais n'a pas beaucoup d'autres arguments que le mimétisme à proposer pour défendre son rôle de cruche stupide et insupportable. Jean Servais fait sa trogne habituelle, Daniel Ceccaldi creuse toujours le même personnage et l'ensemble forme globalement un décor parfait pour les pérégrinations d'un Bébel au Brésil en version guide touristique.
Alors, oui, bien sûr, le scénario a des trous gros comme un immonde building de Brasilia, bien sûr, les faux raccords pullulent dans un montage fait par un aveugle en phase terminale, bien sûr, les bagarres sont sonorisés par Terence Hill et Bud Spencer et la post-synchro tâche comme c'est pas permis, mais franchement, entre nous, ça fait bientôt cinquante ans que la France n'a plus été capable de proposer un film d'aventures de ce calibre alors jouissons-en sans vergogne comme il le mérite.