Malgré quelques fulgurances par ci, par là, The Drug King, le dernier essai en date de Woo Min-ho, demeurait un objet cinématographique bien trop perfectible pour pleinement convaincre. À trop vouloir suivre un chemin balisé et à singer le cinéma de Scorsese ou De Palma (on pense évidemment à Scarface ou au Loup de Wall Street), le cinéaste coréen ne parvenait qu’à offrir une œuvre creuse, construisant finalement son seul intérêt autour de la performance allumée de Song Kang-ho.
Deux ans après, Woo Min-ho fait donc le choix de revenir avec L’homme du président, thriller politique qui troque le ton tragi-comique et la vivacité de The Drug King pour une approche bien plus sérieuse et posée. Le résultat, bien que résolument classique et imparfait, se présente comme une œuvre diablement efficace, dans laquelle le réalisateur use enfin de toutes les possibilités cinématographiques pour exploiter et interroger son sujet prometteur.
En ouvrant son long-métrage sur le coup de feu final de son intrigue, Woo Min-ho marque d’ors et déjà une note d’intention bien plus intéressante que celle de son précédent travail. Ainsi, L’homme du Président sera marqué par la fatalité ; une fatalité invisible, qui guettera chacun des protagonistes, et qui articulera toute la narration autour d’un jeu macabre. Sur ce simple postulat, le long-métrage creuse le sillon de bien des classiques du genre et suit les pas de JFK (Oliver Stone, 1991) ou bien encore Z (Costa Gavras, 1969). Woo bâtit son édifice avec une précision redoutable et sait indéniablement comment manier les codes du genre. Les tensions, les faux-semblants régissent toutes les relations avec le Président Park et le cinéaste prend un malin plaisir à faire tomber petit à petit chacun de ses pions.
Les interactions entre personnages sont donc réduites à ce simple mécanisme, qui parvient tout de même à tenir constamment en haleine durant deux heures. L’œuvre multiplie ainsi les moments de bravoure, les dialogues ciselés afin d’affaiblir progressivement ses personnages qui, au premier abord, sont inatteignables. Seulement, de cet agencement scénaristique méticuleux, L’homme du Président trouve là sa principale limite. Woo n’arrive jamais pleinement à couper le cordon qui le relie à ses références et peine constamment à trouver l’ingrédient qui permettrait à ce cocktail efficace de trouver sa fine originalité. Les poncifs et archétypes relatifs au thriller politique, bien qu’utilisés avec maîtrise, restent toujours en terrain connu et le cinéaste coréen ne parvient que rarement à sortir de ce classicisme, qui risque aussi d’embourber le film dans une froideur quelque peu gênante.
En effet, en voulant trop coller à une réalité historique et à un schéma narratif déjà-vu, le long-métrage se refuse constamment à entrer dans l’intimité de ses protagonistes et crée malgré lui une frontière avec le public, pour qui ces derniers ne deviennent que de simples silhouettes auxquelles il est difficile de s’identifier. Pourtant, c’est justement par cette barrière émotionnelle que L’homme du Président trouve une forme surprenante. Refuser toute affiliation avec l’audience devient une manière pour Woo Min-ho d’assumer pleinement le statut presque légendaire des hommes qu’il filme, perdant en humanité ce qu’ils gagnent en symbolisme et en pouvoir de fascination. Les interprétations exemplaires de l’ensemble du casting ne font que renforcer cela et le stoïcisme de l’excellent Lee Byung-hun impressionne plus que tout. Par conséquent, le film, lui, en gagne une énergie certaine.
Derrière la caméra, Woo Min-ho semble effectivement prendre son envol et déploie un langage cinématographique bien plus fourni qu’auparavant. Jonglant entre son découpage précis, qui joue subtilement sur les rapports de force, sa superbe photographie et son rythme coupé au cordeau, L’homme du Président ne lâche jamais son spectateur et parvient suffisamment à varier les moments de bravoure, pour le maintenir éveillé. Là où son précédent long-métrage peinait d’ors et déjà à se renouveler au bout de la première demi-heure et s’épuisait donc très rapidement, celui-ci sait pertinemment évoluer dans les différentes situations et échange l’hystérie de The Drug King pour un tempo plus posé, plus équilibre, qui trouve son apogée dans un dernier acte haletant, où Woo calme le jeu avant d’offrir un dernier coup d’éclat.
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