Les années se suivent et Woody Allen continue à sortir son film annuel, avec une régularité effarante depuis 1966. Dans les années récentes, le cinéaste, qui s’approche fièrement des quatre-vingt ans, a alterné le bon comme le plus médiocre. La cuvée 2015, « Irrational Man », est située aux Etats-Unis, et met en scène Emma Stone, déjà dirigée l’an passée dans « Magic in the Moonlight », et Joaquin Phoenix.
Le père Woody nous amène dans le charmant état du Rhode Island, une minuscule province de la côte est des Etats-Unis principalement connue pour son école d’art et ses plages magnifiques. Sa faible population (l’état se classe 43e sur 50) fait de ses plaques minéralogiques, pour les collectionneurs avisés, une curiosité assez rare lorsque l’on visite l’ouest américain.
Que l’on se rassure, le film de Woody Allen ne s’intéresse (malheureusement ?) pas à l’immatriculation des véhicules. Le professeur de philosophie Abe Lucas, véritable rock star à la réputation sulfureuse, débarque à l’université de la ville locale, où il a occupé un poste d’enseignant. Son arrivée cause l’émoi des étudiantes comme de ses collègues féminines.
Seulement voilà : Abe n’a plus goût à rien. Marqué par les épreuves et les échecs, le professeur est désabusé, déprimé même, par ce monde dans lequel il considère qu’il n’y a rien à sauver – et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Un jour, toutefois, il est témoin d’une conversation au sujet d’un juge véreux, qui s’apprête à briser la vie d’une femme divorcée par amitié pour son ex-mari. Une idée lui vient alors, de telle sorte que faire du monde un endroit meilleur semble finalement à sa portée…
Là où le film précédent d’Allen touchait à la comédie, avec un personnage interprété par Colin Firth disposant de dialogues typiquement "Woody Allen". Ici, l’on a plutôt affaire à un film assez cynique, qui lorgne parfois du côté de « Match Point ». Evidemment, comme toujours chez Woody, une large part est donnée à la philosophie, l’existentialisme. Il y a donc quelques dialogues de personnages bavards qui vont disserter sur l’existence (c’est un peu vain). L’originalité ici, c’est cette dimension de meurtre "pour faire le bien", couplée à un souci de commettre le crime parfait (l’assassin n’a, a priori, aucun rapport avec sa victime, et donc, aucun mobile).
Le film se divise grossièrement en trois parties. La première, un peu longue, introduit les personnages et plante le décor. La deuxième, plus intéressante, se focalise sur l’évolution d’Abe et son passage à l’acte. La dernière étudie les conséquences de ceux-ci et conclut. Le film est assez inégal, et surtout, sans flamboyance. Il n’y a rien de très passionnant, et si le meurtre apporte une touche d’immoralité et de noirceur bienvenues dans un ensemble jusque-là très aseptisé, il ne suffit pas à transcender le métrage, au demeurant assez plat.
Le gros problème se situe au niveau des personnages et des acteurs. Emma Stone m’est généralement assez antipathique, mais sa prestation n’est pas spécialement mauvaise ici (bon, elle n’est pas spécialement bonne non plus). Joaquin Phoenix est bien dégueu, et correspond pas mal à l’image du professeur de philosophie un peu crado et déprimé que l’on pourrait avoir. Le souci, c’est que, dès les premières lignes du film, on cherche à nous le présenter comme un type "brillant" qui maîtrise les mots au point d’être capable de se tirer de n’importe quelle situation par un beau discours. C’est là que le bât blesse, car jamais Phoenix ne dispose, ni des dialogues, ni du charisme que son personnage est censé posséder.
Le constat est d’ailleurs assez amer lorsque l’on compare le film à l’aune de la filmographie de Woody Allen. Alors que le réalisateur nous avait habitués à des dialogues souvent brillants, finement ciselés, ici, c'est très pauvre. Les personnages capables de joutes verbales extraordinaires chez Allen ne manquent pas… c’est d’autant plus décevant de constater que, dans « Irrational Man », on est loin de cela.
Pour autant, tout n’est pas à jeter dans le film. Le concept est décemment intéressant, et est correctement mené par Woody, jusqu’à un final de qualité. Globalement, le film est sympathique et l’on ne s’ennuie pas trop. Néanmoins, « Irrational Man » est une œuvre d’une grande platitude, mise en scène de manière banale, interprétée de manière banale, et sans jamais de fulgurance. On est très loin des grands Allen – qui n’a pas fait grand-chose de bon depuis « Whatever Works ».
Au final, on ne retiendra probablement que la musique, plutôt pas mal (et l’on oubliera qu’Emma Stone n’est pas crédible pour un sou lorsque son personnage est censé jouer du piano).