La puissance de ce drame historique ne se laisse pas débusquer facilement, chez Lubitsch, dans un registre où on ne l'attend pas nécessairement — voire pas du tout. Aux balbutiements du cinéma parlant, Broken Lullaby s'autorise un petit bond dans le passé, au lendemain de la Première Guerre mondiale, pour s'intéresser au cas d'un jeune soldat français littéralement rongé par le remord d'avoir tué un soldat allemand qui aurait pu être son frère, son ami, en tous cas un jeune homme avec qui il partageait beaucoup. La première partie est une plongée franche dans la torture imposée par la situation, car le protagoniste avait trouvé dans la poche de sa victime une lettre destinée à sa fiancée qui ne fait que remuer la baïonnette dans la plaie, a posteriori. D'autant que le corps à corps s'est révélé particulièrement tragique.


On s'engage ensuite dans une tentative d'absolution, devant les remords insoutenables qui l'accablent (le contexte de la guerre ne semble exercer aucune influence sur lui et leur mélomanie commune ne fait que raviver la douleur), puisqu'il partira à la recherche de la famille du défunt, en Allemagne, pour implorer leur pardon dans un premier temps — car sur place, le poids de la culpabilité étant trop lourd, il se fait passer pour un grand ami qu'il n'était pas.


Lubitsch écarte ici toute satire de classe, toute connotation sexuelle : le ton est résolument sérieux, la fibre dramatique est alimentée par le commun qui unit les deux hommes, eux qui ont fréquenté par le passé le même conservatoire en France. Du drame de guerre à l'état brut, sans fioriture, et une très belle (simple et percutante) observation des tensions résiduelles dans un monde post-guerre qui ne laisse pas beaucoup de place à l'empathie. C'est un film sur l'innocence perdue, aussi, filmée comme un territoire dévasté, et en ce sens bien différent de la tournure que prend l'adaptation du récit qu'en a fait Ozon récemment dans Frantz.


On retrouve la finesse de l'écriture dans la relation qui unit le soldat français avec la jeune femme allemande, à travers une série d'évocations (comme celle de la fameuse lettre) ou de différentes formes de complicité plus ou moins tacite. Une œuvre touchante dans ses maladresses, très symbolique de ce temps où l'on disait "plus jamais ça", jusqu'au nouveau bégaiement de l'histoire.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Homme-que-j-ai-tue-de-Ernst-Lubitsch-1932

Morrinson
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le 13 janv. 2022

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Morrinson

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