Avec les filles d'Olfa on avait pu apprécié un cinéma particulier, genre de docu-fiction théâtralisé, parfaitement mené, qui demandait une attention particulière à ses jeux de miroirs. Une maîtrise et un récit étonnant dans la dénonciation de la violence tant de la sphère privée que sociétale et de la soumission qui en résulte avant d'espérer l'émancipation. Kaouther Ben Hania est une cinéaste engagée à nous surprendre dans sa mise en œuvre créative et réflexive. L'homme qui a vendu sa peau était plein de promesses, pour un sujet bien trouvé. La marchandisation des corps et l'art de plus en plus déconnecté et friand de spectacle avec en sous-texte la condition des migrants. Sa mise en scène toujours attrayante maintient l'intérêt, soignant ses plans, ses décors restreints et géométriques où chaque scène se rapproche du tableau et confère à l'œuvre une esthétique glaçante, ses prises au plus près des visages pour en révéler les tourments, oscillant entre une sorte de fantasme d'une vie rêvée au sourire de rigueur, avant de se réveiller enchaîné à des considérations purement financières et le regard perplexe. Malgré un portrait poussif du milieu de l'art contemporain, la cinéaste nous rappelle à l'importance d'user de son propre corps en toute liberté. Choisir un personnage masculin est d'autant plus judicieux. Impulsif, duale et dépassé par la situation, Sam (Yahay Mahayni) trouvera chez un artiste en vogue, l'opportunité de se libérer de la misère, avant d'en saisir les contraintes. La narration -toute fictionnelle-s'inspire du tatouage de Wim Delvoye sur son modèle Tim Steiner -qui a vendu sa peau en 2008- et tout comme le vrai modèle, déçu du peu de cas à son égard par le peintre, le considérant comme simple œuvre d'art, déjà dépassée, Sam voudra se libérer de son emprise. Le message porté sur son dos comme un geste empathique du peintre (l'abusif Koen de Bouw accompagné de Monica Bellucci en bras armé des ventes) à l'égard de celui que la vie aura malmené, pour un emprisonnement sournois aux règles du donnant-donnant. Si Yahay Mahayni reste parfois en dehors de son rôle comme étranger à toutes ces basses considérations, s'ajoute une sous-intrigue amoureuse pour nous parler d'Abeer (Dea Liane). Sa condition rejoint la longue liste des femmes mariées contre leur gré et vient en miroir de Sam sans que cette romance à l'eau de rose n'apporte d'intérêt.
Wim Delvoye est un artiste controversé bien réel. Il dénonçait déjà en 2006 la société de consommation en tatouant des cochons. Les associations de protection animale dénonçaient quant à elles le non respect de la vie animale. Censé ouvrir le débat, il aurait alors choqué par son procédé mais rendu compte de l'hypocrisie d'un humanisme plutôt enclin à manger les cochons qu'à les tatouer et leur laisser vivre leur vie en liberté.
La cinéaste reprend l'idée et nous placent face à nos contradictions dès lors que nous refusons la solidarité aux migrants mais que nous saluons fortement une œuvre contestataire à leur condition, que nous fustigeons les créateurs sulfureux à succès mais que nous nous précipitons pour naviguer dans leurs sphères, que nous contestons la domination des hommes sur ses semblables tout en acceptant qu'un étranger soit considéré comme un animal exotique. On pense à Vénus noire devant parader devant une foule excitée, que l'on soumet aux regards et à l'appréciation subjective, telle la scène des enchères où Sam assis, attend son prix. Et une réaction épidermique rappelant à the Square qui malheureusement laissera la tension bestiale pour la blague de très mauvais goût, tout autant qu'une fausse résolution franchement maladroite, balayant la noirceur ambiante, au profit d'une bienveillance étonnante au vu de ce qui aura précédé.