"Vous savez comment je vois votre livre ? comme un témoignage de ce qu'auront été les relations hommes/femmes au XXe siècle". Je pique cette phrase à l'éditrice de notre homme qui aimait les femmes, Bertrand Morane, et puis je l'applique au film de Truffaut.

Véritable réflexion sur un monde changeant où la femme s'impose dans le milieu du travail (ici, tous les interlocuteurs commerçants de Bertrand sont des femmes : vendeuses, dactylographes, maquettistes, éditrices...) et peut vivre indépendante, L'homme qui aimait les femmes pose la question de comment aimer les femmes en 1977, d'à quoi ressemblerait le perpétuel amoureux à cette époque. "Vous n'êtes pas un Casanova, vous n'êtes pas un Don Juan." Bertrand se croit "cavaleur", c'est comme cela qu'il a titré son roman, mais l'éditrice le détrompe : "L'homme qui aimait les femmes", voilà qui colle bien mieux.
Et en effet, Bertrand ne fait pas que courir les femmes : pour lui, chacune est une balade ; il arrive à les aimer toutes, véritablement. Son attirance est toujours présentée sous un jour authentique : il ne ment jamais à l'une pour voir l'autre, il ne promet pas non plus ce qu'il sait ne pas pouvoir donner, et le parti est pris de ne jamais le mettre devant le dilemme de choisir une femme ou l'autre (la seule fois où deux femmes se croisent, il finit avec les deux à la fois). La mise en scène sert donc ce personnage hors du commun, presque allégorique, et réussit admirablement à défendre ses aventures : cet homme n'est pas un trompeur, ce qu'il fait n'est pas mal, au contraire, il procure à chaque femme un peu du plaisir dont elle a besoin, lui laisse un agréable souvenir comme elle n'en aura peut-être plus. Et on ne peut que se dire qu'on serait soi-même flattée d'entrer dans sa collection, car cet homme sait aimer les femmes.

Il manque un peu des grandes scènes jouissives comme je les aime (et qu'Hitchcock réussit merveilleusement, bon dieu Truffaut, tu aurais pu lui piquer ça, quand même !), mais c'est formidable comme, tout de même, L'homme qui aimait les femmes ne ressemble pas à une accumulation fade de rencontres, danger qui lui pendait au nez.
Au cours du film, déformation de la perception, les matières se transforment, et l'on se met à sentir, plus que jamais, tous ces corps de braves femmes, sous leurs vêtements, et ce qu'ils peuvent avoir d'émouvant. D'aucuns diront que le film est "laid", ce que je comprends assez mal. La photographie n'est certes pas des plus remarquables, mais c'est la poéticité du film qui le rend beau, et cette conscience qu'il nous fait prendre, l'espace de deux heures, que le monde est vaste, et que chacun a quelque chose à donner (ça me paraît un peu ringard écrit comme ça, mais si l'idée était si facile à exprimer je ne vois pas à quoi ça servirait d'avoir fait ce film !).

La seule chose qui me dérange, c'est que toutes ces femmes portent des jupes et des talons de dix centimètres, et j'en suis assez jalouse dans mon jean et mes chaussures d'aujourd'hui. Du coup, je me demande comment serait le Casanova, le Don Juan, le Bertrand Morane de 2011.
Philistine
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le 16 nov. 2011

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