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Je ne reviendrai pas ici sur les origines et le développement calamiteux de ce "projet maudit", d'autres le feront bien mieux que moi.
"L'homme qui tua Don Quichotte" fait office de "film synthèse" pour Terry Gilliam. Toutes ses obsessions y sont réunies. Obsessions vis-à-vis de la réalité, de la folie, de la rédemption, de la création, de l'imagination, de la perception du réel... Moins délirant et jusque-au-boutiste que le "Baron de Münchhausen" , moins trash que le "Fisher King", et surtout moins moche que "L'Imaginarium du Dr. Parnassus", le nouveau Gilliam évoque cependant ces trois films, tant les questions qu'il soulève et sa structure narrative s'en inspirent.


Pour le synopsis: Un jeune publicitaire cynique, Toby, se rend dans la Mancha pour un tournage, près du petit bled dans lequel il avait jadis tourné son film de fin d'études (de cinéma) centré sur le légendaire Don Quichotte. Il va découvrir les conséquences de cette aventure de jeunesse sur les habitants du village, et surtout sur le vieil homme qui tenait le rôle principal, maintenant persuadé d'être le héros de Cervantes...
Je dois avouer avoir un peu peiné à entrer dans le film. Il faut dire que l'insistance sur le cynisme et la froideur inhérentes au milieu de la publicité est un peu lourde et cliché... Toby est un sale con de petit génie, son patron un connard raciste, la femme du patron une chaudasse... Et puis apparaît, pour la première fois, "Don Quichotte", qui attaque fièrement la voiture de police dans laquelle est retenu Toby. A partir de ce sommet "WTF", j'ai su que le film allait me plaire. Contraint de suivre son cinglé de sauveur (joué avec un brio assez incroyable par Jonathan Pryce), Toby opère une sorte de rédemption, un peu à la manière du personnage de Jeff Bridges au contact de celui de Robin Williams dans "Fisher King". Sauf qu'ici, cela passe par un road trip halluciné où chaque nouvelle étape est l'occasion pour le réalisateur de montrer qu'il n'a pas perdu son sens de l'absurde. Entre la petite communauté musulmane que Toby prend pour des terroristes, la joute épique qui rappelle "Sacré Graal", l'ex-Monty Python laisse libre cours à ses instincts, trop longtemps réprimés durant la dernière décennie (le peu audacieux "Zero Theorem", l'insipide "Frères Grimms"...).
D'ailleurs, Gilliam semble tellement foufou qu'il oublie parfois de ménager ses effets. Les plans "gilliamesques" (focales courtes, angles déformés) sont donc utilisés souvent, pas toujours à bon escient, lorsqu'une réalisation plus classique et sobre aurait mieux convenu à certaines scènes se déroulant dans le désert Espagnol.
Mais le dernier acte dans le château prouve que Terry sait encore créer des atmosphères à la fois glauques et fantasmagoriques, inquiétantes et absurdes. La caméra devient complètement folle (contre plongées, déformation des angles), alors que le personnage principal s'interroge sur sa propre santé mentale, et le spectateur sur la sienne.
S'il peut sembler un peu mal amené, trop distinct du reste du film, cet acte est, selon moi, très réussi.
Progressivement, Toby s'est forgé une quête chevaleresque qui semblerait anachronique, et pourtant... Il a fini par appeler "Don" son ami fou, se met en tête de sauver l'élue de son cœur. La transformation est aussi cohérente que belle et touchante. Les deux hommes vivent une réelle complicité, une amitié oscillant entre respect et incompréhension, affection et exaspération (leurs dialogues sont assez savoureux).
La scène de l'humiliation de Don est véritablement triste tant Jonathan Pryce habite son personnage avec une finesse et une intelligence rares. La scène de la mort de Don est d'une simplicité et d'une poésie réellement émouvante (j'ai versé ma larme, je l'avoue).
Alors oui, le tout est un peu tiré par les cheveux, les situations sont souvent invraisemblables, mais au fur et à mesure que cette aventure progresse, nous perdons également nos repères. Ce qui se déroule devant nos yeux ne relèverait-il pas simplement du fantasme, comme cette scène de retrouvailles dans une grotte souterraine, qui semble hallucinée par le protagoniste mais également par le public ?
La transformation finale de Toby en Don Quichotte est un peu too much, par contre... Les indices disséminés ça et là, l’évolution globale du personnage, auraient du suffire pour nous faire comprendre que le "passage de flambeau" avait eu lieu entre le Don et Sancho. De même, les géants en CGI de la fin, bien que très impressionnants, étaient largement dispensables.
A propos de CGI, le film regorge de références méta au projet même de Terry Gilliam, à ses échecs successifs, et à sa vision du cinéma. Celui-ci semble se raconter à travers Toby, jeune américain qui "préfère les effets pratiques au numérique", enchaînant galère sur galère pour ses tournages (acteurs aux fraises, conditions météo douteuses...). Mais surtout, il s'offre sa propre rédemption, montrant que le cynisme ne résiste pas à l'appel de l'imagination, de l'inspiration.
Et puis il y a cette réflexion sur le rôle de l'artiste, son impact sur la société. Par sa création étudiante sans prétention, Toby a changé le destin de nombreuses personnes, et a créé les conditions pour son propre cheminement spirituel. La fiction a dépassé la réalité, en commençant par la névrose du vieux cordonnier. Le karma n'est jamais cité explicitement dans le film, mais cette idée de "cycles", de conséquences des actions, transparaît souvent.


Peu original de prime abord lorsque l'on pense à la filmo du bonhomme, un brin lissée et consensuel, "L'homme qui tua Don Quichotte" est pourtant un très bon film, fort et touchant, foutraque et pas toujours équilibré, mais sincère et joué à la perfection.

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le 31 mai 2018

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Mr_Step

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