Alors alors : c’est l’histoire d’un film sur Don Quichotte, mais que le réalisateur avait déjà fait plus jeune, en noir et blanc mais sans succès, et là il recommence mais sans l’envie, et c’est aussi une référence au réalisateur (celui du film qu’on voit, pas du film dans le film) qui a galéré pour monter son film sur Don Quichotte.
Et donc, il se déplace dans un monde de vanité qu’on dirait sorti des visions d’Hollywood par Malick, mais en version qui se voudrait grotesque et drôle (patron producteur mafieux, godiche nymphomane, assistant veule et obséquieux) et fuit toute cette artificialité pour retourner dans l’authentique noir et blanc de son affriolante jeunesse, pour retrouver l’ex interprète de Don Quichotte qui est devenu, dans le film à l’intérieur du film original du nouveau film en tournage dans le film, un nouveau personnage littéraire qui se prendrait pour Don Quichotte, c’est-à-dire en fait dans le réel (celui du récit, pas du film dans le film). Par moments, le réel devient bizarre avec des chevaliers et des géants, mais en fait, ce sont des rêves, dans lesquels le réalisateur du film devient Sancho, et suit son acteur devenu Don Quichotte dans ce monde de vanités à la recherche d’un peu de grammes de finesses et de sentiments réels, comme le panache, l’amour, l’honneur et la loyauté. Et souvent, il dit que c’est n’importe quoi, que son acteur ne peut pas être en vrai Don Quichotte, et ses sarcasmes et ses fucks font un décalage du plus bel effet, comme une parodie écrite par un collégien qui se croit sincèrement drôle et original, voire subversif. Même si on pourrait se demander pourquoi un réalisateur qui vénère le mythe de Quichotte au point d’en faire deux films mépriserait à ce point une personne réelle qui serait atteinte d’une telle mystification. Mais passons.
On nous propose donc des mélodies hispanisantes, des paysages numériques, des resucées de Münchhausen, des costumes par centaines, des effets de lumières, des ruines et des moulins, des éoliennes et de nombreuses séquences en ultra-grand angle d’une ultra laideur dont on peine encore à déterminer l’intérêt, et une galerie de personnages au mieux ineptes, au pire insupportables dans leurs allées et venues entre récit, réel, rêve, fantasmes, supercherie et consorts.
Ce vertige bordélique est censé nous camper une comédie humaine dans laquelle on épouserait les contours fluctuants de destinées se fantasmant sous les ors du romanesque, désespérées qu’elles sont de leur médiocre condition. Le problème, c’est que ce lourd plats de lasagnes accumule tant les couches qu’il en oublie le fond : il ne reste plus de place à l’authenticité, à un véritable discours, à une empathie quelconque : les éructations et les chausses trappes sont devenues une fin en soi ; un gouffre dans lequel tout le monde se précipite, personnages, comédiens, spectateurs, à la suite d’un réalisateur qui, depuis bien longtemps, erre dans des territoires fictionnels devenus les marécages d’une inspiration qui n’a jamais su se renouveler.